Témoignage de Bernadette ( Canisy)

Témoignages recueillis par Bernadette (Canisy), ainsi que le sien.

Message urgent du commandant suprême des forces expéditionnaires alliées aux habitants de cette ville

 

Afin que l'ennemi commun soit vaincu, les Armées de l'Air Alliées vont attaquer tous les centres de transports ainsi que toutes les voies et moyens de communications vitaux pour l'ennemi.

Des ordres à cet effet ont été donnés.

Vous qui lisez ce tract, vous vous trouvez dans ou près d'un centre essentiel à l'ennemi pour le mouvement de ses troupes et de son matériel. L'objectif vital près duquel vous vous trouvez va être attaqué incessamment.

Il faut sans délai vous éloigner, avec votre famille, pendant quelques jours, de la zone de danger où vous vous trouvez.

N'encombrez pas les routes. Dispersez-vous dans la campagne autant que possible.

 

Partez sur le champ !

Vous n'avez pas une minute à perdre !

 

 

LA VIE QUOTIDIENNE DES HABITANTS DE CANISY

pendant et après le débarquement allié en Normandie d'après les témoignages et les documents d'époque

 

6 juin au 31 juillet 1944

 

INTRODUCTION

Le 4 juin, M.André LECLUZE, vétérinaire à Canisy, se rend chez un agriculteur. Sur la porte de l'étable une date est portée : 6 JUIN. Intrigué, il demande ce que signifie cette date ; l'agriculteur lui répond que c'est le jour du débarquement.

 

5 au 6 JUIN :

Depuis hier soir et toute la nuit, un vrombissement d'avions presque continuel a fait penser aux habitants que cette fois-ci il doit se passer quelque chose de sérieux. Ces avions sont passés en tel nombre que l'on peut parler de centaines en 6 ou 8 heures.

A cette heure matinale, toute la population est sur pied. Les habitants du bourg se tiennent à leurs fenêtres ou sur le pas des portes, échangeant leurs impressions.

Vers 9h30, premier bombardement à la gare de Canisy sur le train de marchandises qui est bombardé par l'aviation. La locomotive est littéralement déchiquetée. Les jours suivants, cette loco sera une cible pour les avions qui reviendront bombarder avec acharnement.

Afin d'éviter ces attaques répétées, quelques jeunes de la commune mettront le feu à ce convoi. Ce même jour, cinq bombes sont tombées sans exploser sur le hangar situé près de la gare.

Vers 18h, le jeune Joseph LALLEMAN fut envoyé à Saint-Lô par le responsable du Centre d'accueil pour aller à la Kommandantur chercher des bons d'essence destinés au Docteur et à la Croix-Rouge. Lorsqu'il arriva sur place, il trouva porte close -pas un Allemand- pas un civil, il n'a rencontré personne. La troupe occupante était cantonnée aux alentours de la ville et dans les communes environnantes (récit de Joseph Lalleman)

Lecture par Fabienne Vicenzi
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Pendant plusieurs jours, la population a ignoré que c'étaient les américains qui venaient vers nous. Sans relations ferroviaires, postales, T.S.F, puisqu'elles étaient arrêtées dès le matin du 6 juin. Les appareils de TSF avaient dû être remis en mairie sur ordre des Allemands, et cela depuis quelques semaines. Egalement les autos civiles ne circulent plus en raison de la chasse aérienne à tout véhicule.

 

7 JUIN

Ce matin vers neuf heures, un convoi formé d'ouvriers venant de l'organisation TODT de Cherbourg (ouvriers de toutes nations travaillant pour la construction du mur de l'Atlantique), est attaqué par l'aviation au village de Pierrelaye. Plusieurs milliers d'employés de cette entreprise sise à l'arsenal ont été chassé en toute hâte et brutalement par l'armée allemande. Les chauffeurs des camions de cette entreprise qui ont parqué leurs véhicules dans le bourg ont été sommés par la gendarmerie de se camoufler au village de la Ménagerie.

 

Une infirmerie est aménagée chez les religieuses au bourg pour accueillir les blessés et les locaux de la justice de paix sont transformés en morgue : sept corps y seront déposés. Les noms ci-dessous ont été relevés à l'état civil : Paul PROKAPIUNT, 21 ans, allemand, employé à l'organisation Todt-firme Bauer Walser, Hilde OESWEN, 22 ans, employée à la même entreprise, Paul DEGNER, 35 ans et Mickaël ZOBELEY, 37 ans, allemands et trois corps non identifiés.

 

A la hauteur du village de la Pérelle, un autre convoi de cette entreprise se dirigeant vers Saint-Lô est attaqué à son tour et plusieurs véhicules sont incendiés. Les occupants se sont enfuis à travers champs et certains ont été poursuivis par l'aviation. Il s'agissait pour la plupart de français, habillés en treillis kaki, porteurs de fusils « Lebel » et encadrant l'organisation Todt.

 

Ce matin, un jeune homme est requis pour porter à pied de Canisy à Saint-Lô le courrier de la Mairie. Des gendarmes Saint-lois sont passés remettre des affiches dans les gendarmeries, avertissant que la circulation du « coucher au lever » est interdite et tous les lieux publics doivent être fermés.

 

LE MUR DE L'ATLANTIQUE

 

Organisation Todt

 

La construction du Mur de l'Atlantique fut confiée par HITLER au Dr Fritz TODT.

Qui était cet ingénieur ?

Né en 1891, il fit des études d'ingénieur. Directeur des plus grosses firmes allemandes de construction, il avait conçu un plan d'autoroutes pour le territoire permettant en même temps de résorber le chômage qui sévissait alors en Allemagne. Dès 1933, il devint ingénieur général des Ponts et Chaussés ; en 1938, il construisit la ligne Siefried et à la suite, toutjours sous les ordres d'HITLER, il construisit des fortifications de la Hollande à l'Espagne. EN tout 11000 ouvrages : blockaus, canons enfouis, batteries aménagées dans des villas pour tromper les alliés, toujours en bordure des côtes, tourelles à ciel ouvert, cloche d'observation, chevaux de frise sur les plages, faux avions pour détourner les bombardements et faux troupeaux sur un vrai terrain d'aviation pour égarer l'observation aérienne.

 

Il employa près de 500 000 hommes sur les différents sites et dans les arsenaux. Il trouva la mort en regagnant son ministère le 8 février 1942 dans un accident d'avion. C'est le Dr SPEER, architecte, qui lui succéda (éditions Daniel & Cie, Paris)

 

La chute d'un avion américain

Un avion du type « Thunderbold » est tombé dans le champ « HARDEL » entre les villages de la Basse-Mesleraye et la Boucherie. Son pilote n'aurait pas été retrouvé.

Or, plusieurs années après la guerre, une américaine s'est présentée à la mairie : elle recherchait son fils, pilote, qui serait tombé à Canisy. M.LEPLATOIS, Maire, n'a pu lui donner aucune précision à cette époque, aucune recherche n'ayant été faite au lieu de l'épave.

Lecture par Mme Vicenzi
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JEUDI 8 JUIN

Ce matin, l'inhumation des 7 victimes d'hier a lieu en toute hâte et dans l'insécurité par MM.Eugène MAINE, Albert ALLIX, Ernest HARDEL, en présence de l'Abbé LENORMAND, car un nouveau mitraillage est dirigé sur la locomotive : les éclats parviennent jusque sur les monuments du cimetière.

Un bombardier américain est tombé à Baudre, les occupants sont morts carbonisés. Nous apprenosn que les alliés se battent à 70km d'ici. Cette fois-ci, ce n'est pas un bobard.

A nouveau, trois avions mitraillent les convois de l'organisation Todt ; des camions se sont rangés face à la maison de M.DAMECOUR.

Un convoi allemand est passé vers 10h, et dans la nuit, on entend des bombes à retardement. Le bourg se vide de ses habitants qui sont maintenant dispersés en grande partie dans les villages environnants. Nous entendons régulièrement des tirs d'artillerie. Des camions sont mitraillés sur la route de Saint-Gilles ; l'un des occupants est carbonisé. Les bombes tombent autour de la bourgade et trois autres ont explosé sur l'exploitation de M.Aimable FRANCOISE, Maire.

 

Il paraît qu'hier, les Anglais étaient entrés dans Bayeux.

 

Au centre de secours, le docteur NEGRIE doit procéder à l'amputation d'un bras sur un algérien blessé d'une balle de mitrailleuse, mais avant l'opération il a tenu à revoir son manuel d'anatomie médicale afin de bien vérifier l'endroit précis des veines et des artères du patient, puis un dialogue s'engagea entre les deux hommes : « préfères-tu crever de la gangrène ou que je te coupe le bras ? » Réponse : « Tu coupes, Msiou. » Mlle de KERGOLAY endort le patient au chloroforme. (témoignage de M.A.ALLIX)

 

Dans la cave de Maître LE JEUNE, vingt personnes s'y réfugient la nuit. Cette nuit même, des séminaristes sont arrivés au presbytère chez le curé LENORMAND.

Des nouvelles arrivent : les Anglais auraient fait un autre débarquement à l'ouest de Carentan. Il y a un grand nombre de camions calcinés sur les routes ; l'un deux garé dans le parc a été jeté dans l'étang du moulin. Dans l'ensemble, la matinée est calme malgré la présence d'avions qui tournoient au-dessus du bourg qui semble mort.

M.Negrie et M.Lenormand

Lecture par Mme Vicenzi
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Le Bon Sauveur est détruit : quatre jeunes élèves passent dans la bourgade et regagnent leurs familles à Carantilly. Une folle s'est échappée et une autre erre dans le bourg. Dans la bourgade également, un officier de 1940, français, voit avec satisfaction des officiers allemands prendre la route à pied, sans monture et sans voiture : « c'est un juste retour des choses ».

A partir de ce jour, le courtier est acheminé avec les moyens du bord. »

Lecture par Anne-Sophie Hardel
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11 JUIN

Les communications sont coupées ; les habitants de Canisy se posent quant à leurs familles et amis habitant Saint-Lô détruit. Pendant une accalmie, toutes les personnes qui ont évacué la bourgade profitent de mettre à l'abri leurs biens les plus précieux (vaisselle, linge, etc...)

 

Ce matin, les maires du canton se sont réunis à Canisy afin d'assurer le ravitaillement en pain et autres denrées aux habitants et nombreux réfugiés. Nous constatons que les logements vidés de leurs occupants sont pillés par tous les gens de passage. Ce soir, un certain nombre de cars allemands sont garés dans le parc du château. Deux avions ont survolé la bourgade mais la visibilité était mauvaise.

 

L'activité a repris dans les airs ainsi que sur les routes depuis hier soir. Il y a une grande manœuvre de convois dans le carrefour (matériel, voitures attelées) ; des officiers dans des voitures de tourisme, quelques cyclistes et motos, des soldats en file, en habit de campagne et des russes poussant devant eux, des vaches et des brebis -et même des soldats ou officiers circulent en landau attelé. Toujours le passage des ouvriers de l'organisation Todt dont un « nègre en sabots » qui sont dirigés par les allemands vers la route de Saint-Martin...route dite de « l'exode ».

 

Maintenant ce sont six camions de la Croix-Rouge qui passent avec des blessés entassés, debout ou allongés sur leurs brancards, et toujours des réfugiés...également dix-huit cyclistes allemands complètement désemparés. Les réfugiés qui représentent toutes sortes de populations sont affamés et chapardent pour se nourrir.

 

La Felds-gendarmerie est à Quibou pour regrouper les soldats épars. Les chevaux sont parqués dans les fermes, et la troupe s'éparpille dans les villages, évitant le bourg. Les avions sont plus actifs.

 

M.le comte Thibault de KERGOLAY remplace M.FRANCOISE pour l'administration de la commune dans ce moment critique. Le secrétaire de Mairie a donné sa démission car il ne veut plus circuler sur la route de Quibou chaque jour. Le pain est rationné : 200g par jour. Il semble bien que Saint-Lô où l'on n'entre plus, ne soit qu'un amas de décombres. Ces renseignements parviennent régulièrement à Canisy par des personnes évacuées de cette ville et qui y retournent journellement.

 

LUNDI 12 JUIN

D'autres camions de blessés allemands arrivent et parmi eux, un américain blessé à Sainte-Mère-Eglise.

Depuis ce matin, les tirs se rapprochent et les avions ronflent toujours.

Plusieurs maisons ont été saccagées par des russes et des soldats qui sont entrés se reposer dans les logements du bourg ; ces habitations doivent rester ouvertes par ordre et dans le cas contraire, elles sont occupées par la force.

Beaucoup de voitures de tourisme passent avec des officiers allemands -ceux-ci réquisitionnent même les vachères et les voitures « Bayeusaines ». Sur ces moyens de locomotion, il y a toujours un soldat de faction, occupé à surveiller la voie des airs.

Les nouvelles sont alarmantes.

Lecture par Mme Vicenzi
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TEMOIGNAGES

Les allemands connaissaient bien les intentions des libérateurs et donnaient en « secret » des conseils d'évacuation qui n'ont pas été suivis par les habitants.

 

MARDI 13 JUIN

D'après les traces laissées sur la route, on devine que des tanks sont passés se dirigeant vers St-Gilles, donc vers le front ? Une dizaine de chenillettes de S.S passent avant le dîner. Les soldats sont entrés dans un café, mécontents que la propriétaire leur dise qu'elle ne sert pas d'alcool ; pour l'intimider, ils oint posé une grande sur la table.

Lecture par Anne-Sophie Hardel
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Un tremblement fait supposer que plusieurs chapelets de bombes viennent d'être largués sur la route de Coutances.

 

MERCREDI 14 JUIN

Les habitants, par crainte d'être surpris par un bombardement, se couchent habillés. Les personnes obligées de se déplacer n'empruntent plus les routes mais passent à travers champs, frôlant les haies. Les civils agitent un linge blanc afin d'être épargnés par l'aviation, ce qui permet aux allemands de se protéger au milieu d'eux.

 

Les alliés qui ont dû repérer des allemands sur les villages de la haute et basse Mesleraye, commencent un mitraillage nourri ; les vitres des maisons ont été brisées, une ânesse est tuée chez Victor JOIGNE. Une pièce de D.C.A est installée dans ce village. La population de ces villages est apeurée.

 

Canisy peut relater le stationnement au village de la Valette d'une unité assez particulière de l'armée allemande. Il s'agit d'une compagnie de SS – unité blindée appartenant à la division DAS REICH Der Fürher. Cette unité d'élite remontait de Toulouse – St Jory, afin de verrouiller l'avance des unités de l'armée américaine.

 

On doit se souvenir des Alsaciens enrôlés de force comme interprètes dans ces unités et dont le comportement a certainement permis de protéger la population. (témoignage de M.André VIEILLARD)

 

JEUDI 15 JUIN

Des allemands isolés, volant des bicyclettes pour tenter de déserter. Beaucoup de voitures de la Croix-Rouge circulent et l'on ne sait toujours pas où se trouve le front.

Hier soir, un camion a été détruit au village de la Mesleraye par des avions à double fuselage ou « double queue » et dans la nuit de nombreuses fusées ont éclairé le ciel. De temps en temps et par petits groupes, des soldats isolés semblent se chercher et, ce soir, l'activité aérienne reprend de plus belle pendant que camions et voitures circulent plus nombreux.

 

Il se passe de temps à autre un « fait divers » qui fait oublier temporairement les événements :

 

Un jeune homme, en haut de forme, avec un masque à gaz en bandoulière, passe dans le bourg, assis dans un fauteuil placé dans une vachère. Il sera interné dans les locaux de la gendarmerie de Canisy pour lui éviter d'être tué par l'armée.

 

L'histoire de l'avion au double fuselage

Il s'agissait d'un P.38 Light Ning monoplace. Cet avion, qui terrorisait la population et la troupe, était remarqué par sa vitesse, sa puissance, sa maniabilité. Américain d'origine, il était équipé spécialement pour la chasse, le bombardement, la reconnaissance et l'accompagnement en haute altitude. Ces avions ont pris une part considérable dans l'attaque au sol des unités. C'est dans ce même appareil que Saint-Exupéry a trouvé la mort en-deça des côtes de Provence. (Cette précision est donnée par M.André VIEILLARD)

 

VENDREDI 16 JUIN

Les habitants ont leurs animaux et leurs voitures volés, et parfois, il se passe des incidents tragiques pour obliger les gens à fournir certaines choses demandées par les occupants devenus agressifs.

 

Ce soir, vers 20h, les avions P.38 Light Ning refont leur apparition. Le Docteur NEGRIE circulant avec son auto au-dessous d'un avion a voulu lui faire un signe amical – le signe n'ayant pas été compris dans le sens voulu par l'aviateur, ce dernier l'a mitraillé ; en sortant précipitamment de son véhicule, le docteur s'est foulé le pied.

Une dizaine de SS circulent toujours dans la bourgade.

 

SAMEDI 17 JUIN

Les tirs de canon se rapprochent et les avions sont à la recherche des DCA qui sont camouflées. Un camion plein de munitions est garé près de l'église. La bascule publique de M.LEPELLETIER vient d'être détruite par une bombe qui visait une DCA au Montmireil – la vitrine de M.PACARY, bourrelier, a été brisée. Les animaux domestiques sont apeurés par tous ces bruits.

Dans l'hôtel de M.LEPELLETIER, cinquante allemands y ont passé la nuit. Un canon camouflé, tiré par des chevaux, se dirige vers Quibou. Le canon tonne sans arrêt ; les habitants vivent des heures dramatiques. Au village de la Boucherie et de la Mesleraye, les chevaux sont parqués dans les chemins creux qui leur servent de boxs et la troupe allemande couche dehors sous des tentes et des branchages.

 

DIMANCHE 18 JUIN

Journée beaucoup plus calme que les précédentes à part quelques passages de reconnaissance et quelques tirs d'artillerie. Cet après-midi, des SS ont obligé le docteur NEGRIE à céder son auto en lui disant : « Les Anglais paieront », et ensuite des sous-officiers ont fait le tour du bourg pour essayer de trouver une voiture.

Chez les religieuses de Canisy qui font les fonctions d'infirmières, l'un des blessés a dû être amputé d'un bras sans anesthésie par le docteur NESRIE.

 

LUNDI 19 JUIN

On apprend une nouvelle bien triste : deux des enfants de l'instituteur de Saint-Martin de Bonfossé ont été tués avec l'employée par une bombe. Un soldat allemand a été enterré à l'entrée du parc du château.

Des bons gratuits sont délivrés aux sinistrés de Saint-Lô et aux réfugiés dans les villages pour se procurer des vivres (beurre, sucre, pâtes, café et chocolat).

La pratique religieuse se maintient grâce à la présence de trois prêtres qui célèbrent leurs messes le matin, ainsi que le chanoine BOLY, chapelain du château.

Des SS sont toujours à la recherche de voitures : ils en ont pris trois au château ; M.le Comte de KERGOLAY les a traités de voleurs et de brigands.

Certains postes de DCA ne sont plus approvisionnés de munitions et ne tirent plus.

 

MARDI 20 JUIN

Des réfugiés continuent de passer par petits groupes. Les habitants tentent, dans la mesure du possible, de leur fournir des vêtements et de la nourriture.

 

MERCREDI 21 JUIN

Ce premier jour de l'été est froid.

L'épicerie de Mme REQUIER est pillée par les soldats allemands qui enlèvent le ravitaillement destiné à l'intendance.

Le front se situe vers Couvains où les combats sont violents. Ferdinand GROUALLE qui vient du Mesnil-Rouxelin avec sa famille a eu dix vaches de tuées.

L'accalmie relative dans notre secteur est dû à l'effort qui doit être fourni pour la prise de Cherbourg. Certains soldats entrent dans les maisons, intimidant les habitants avec un revolver pour obtenir de la boisson ; ils pillent les cafés.

 

JEUDI 22 JUIN

Après trois jours de temps froid et couvert, le soleil est revenu et l'activité aérienne reprend. Jusqu'à ce jour, les obus ont épargné Canisy. Les Allemands éparpillés dans les villages sont répartis pour le front cette nuit.

Un état-major est installé au village de la Valette.

 

VENDREDI 23 JUIN

On voit passer venant de Gourfaleur où elles étaient réfufiées après le bombardement de Saint-Lô, des cohortes d'aliénés, échevelées, hagardes, hurlantes, contenues à grand peine par des religieuses dévouées mais anxieuses -spectacle pitoyable, affligeant, terrifiant même. Ces malades seront hébergées chez M.MARIE et au village Grimbert à Quibou.

 

SAMEDI 24 JUIN

Nouveau passage des aliénés avec leur camisole de force. Certaines cependant plus soignées, plus conscientes que celles de la veille.

Des gendarmes de Canisy sont allés à Soulles pour perquisitionner les bagages d'un évacué de Saint-Lô qui avait pillé. Les gendarmes allemands sont intervenus pour que ces objets leur soient remis en menaçant les représentants de l'ordre français de leurs armes.

Une réfugiée ayant eu l'idée saugrenue de demander une pince à épiler à une commerçante de Canisy, celle-ci, interloquée, a répondu qu'en ces heures graves il y a autre chose à penser qu'à ces futilités.

De temps en temps, une carriole passe avec le drapeau de la Croix-Rouge, chargée de malades et de handicapés.

Aujourd'hui, le Comte Thibault de KERGOLAY et Maître LE JEUNE prennent en main les affaires communales. Les vivres commencent à s'épuiser et les rations de pain diminuent : « 100g par personne ». Les laiteries environnantes fabriquent pour la population des fromages « Camemberts et port salut » à 0g de matière grasse « allégés ».

 

DIMANCHE 25 JUIN

A Quibou, les Allemands ont réquisitionné des vêtements civils pour travailler à la scierie et ainsi échapper à l'armée.

Lecture par Mme Vicenzi
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LUNDI 26 JUIN

Nuit assez calme. Aujourd'hui les allemands recherchent tous les moyens de locomotion -même les carrioles sans roues se trouvant dans l'atelier de peinture de M.CONTENTIN- elles sont emportées dans des vachères. Dans une ferme, sept quintaux de blé ont été saisis et le four à pain du propriétaire a été scellé. Des ordres sont donnés pour faire évacuer les bourgs et dégager les carrefours.

Au village du Breuil, vingt-cinq voitures hippomobiles à quatre roues, chargées de munitions, sont parties ce soir -cinq seulement sont rentrés à vide. Les convois étant régulièrement bombardés et mitraillés la nuit.

 

MARDI 27 au JEUDI 29 JUIN

La DCA tire à nouveau et toujours le passage de véhicules militaires entièrement recouverts de branchages, longeant les haies. La ronde infernale des avions recommence – des bombes tombent aux alentours.

Ce matin, 29 juin, le Préfet vient à la mairie sans grand équipage puisqu'il a fait la route à pied. Grandeur et décadence.

 

A la Mesleraye, colline de Canisy, chez Ernest REQUIER, une lucarne a été aménagée dans la maison d'habitation par les allemands, en poste d'observation face à la route de Coutances à Saint-Gilles, afin de surveiller le trafic sur cette voie.

Cette nuit, deux très lourdes voitures chargées de canons, passent et s'acheminent vers le front – et toujours des colonnes de réfugiés chargés de ballots et poussant devant eux leur bétail. Dans l'après-midi, des avions tournoient sur St-Ebremond et reviennent en piquant droit sur l'objectif entre le Breuil et cette localité. LA DCA tire et des éclats d'obus tombent et forment des trous sur la route.

Lecture par Mme Vicenzi
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VENDREDI 30 JUIN

Ce matin, un convoi formé d'une vingtaine de charrettes, ayant attaché à l'arrière des chevaux non sellés, semble se replier.

 

SAMEDI 1er JUILLET

Nuit calme ; cependant, du côté de Saint-Lô, on aperçoit toutes les 15 secondes des lueurs qui éclairent le ciel.

Les moyens de transport pour les allemands ne deviennent pas brillants, ils circulent à pied. Hier, une mitraillade à Quibou a détruit une voiture occupée par des officiers ; un side car est allé les rechercher.

Il y a des pillages dans les maisons par les troupes SS qui échappent au contrôle des officiers et gendarmes allemands. Des réfugiés de St Fromond et arrivant à Canisy signalent que les SS commettent des actes terribles : massacres d'animaux et incendies de meubles.

 

DIMANCHE 2 JUILLET

Journée relativement calme, la messe a pu être célébrée dans l'église. Certains habitants du bourg ont repris leurs habitudes dans leurs foyers.

 

LUNDI 3 et MARDi 4 JUILLET

Le front au nord de Saint-Lô semble se stabiliser ; cependant, les avions ont repris leur activité. La voiture de la Croix-Rouge qui remplit les fonctions journellement de la poste et devait assurer le transport du courrier jusqu'à Rennes, est repartie à vide ce soir en raison de l'absence du receveur.

L'abbé LENORMAND, curé de la paroisse, a appris le décès de quatorze membres de sa famille, bombardés dans une tranchée de St-Hilaire du Harcouët.

Les obus commencent à tomber plus près du pays.

 

MERCREDI 5 JUILLET

Nous assistons à un combat aérien. De nouveaux convois camouflés par des feuillages passent dans le carrefour et se dirigent vers Saint-Gilles. Souvent, le camouflage n'échappe pas à la vigilance des pilotes américains : ils ont mitraillé un convoi de la Croix-Rouge – surprise- il y avait des prisonniers américains et aussi des munitions et toujours le passage de nombreux réfugiés.

 

Ce matin, des ambulancières parisiennes de la Croix-Rouge, en service, ont dit qu'il n'y a pas beaucoup à manger à Paris mais il ne s'y passe rien.

Les trayeuses, très courageuses, ont beaucoup de mérite à traire leurs vaches : elles risquent leur vie à tout moment.

 

JEUDI 6 JUILLET

Des obus sifflent au-dessus et vident les communes de St-Martin et Quibou. Un civil passe – son bras est maintenu sommairement par une planche. Les appareils médicaux manquent, ce qui est très pénible.

A Saint-Gilles, ferme de l'Aubrière, dans la famille EUDES, à la suite de l'arrestation du père, du fils et de la fille, l'autre fils Lucien, qui avait pu s'échapper à la barbe des allemands en se couchant dans un ruisseau et en respirant avec une tige de roseau, s'est réfugié chez son oncle à Canisy, au village de Bouchefontaine afin d'y trouver des vêtements secs et se sauver ensuite à travers champs.

Lecture par Mme Dauxais
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Ce qui va suivre nous montre que de temps en temps, il se passait des faits qui font rire et oublier la tragédie de la guerre :

Hier soir, un cavalier allemand montait le bourg tranquillement. Arrivé à la hauteur de l'immeuble de la gendarmerie, son cheval refuse d'avancer sans doute apeuré par la présence de femmes qui discutent sur le trottoir. Après plusieurs essais infructueux, le cavalier a pris le parti de faire marcher son cheval à reculons jusqu'au carrefour. « Ce coursier normand ne comprenait pas la langue allemande. »

 

VENDREDI 7 JUILLET

Une partie de la population de St Ebremond de Bonfossé et de Saint-Gilles évacue lorsque les bombes et les obus tombent. Les fermes sont incendiées. Les personnes qui ne sont pas blessées se sauvent mais presque tous les animaux restés sur place périssent. La veille, deux blessés venant de la ligne de fer sont arrivés chez les sœurs : une jeune femme et un jeune homme – ce dernier : Hubert VILLEMIN, étudiant âgé de 21 ans, parisien, était venu pour passer les lignes et rejoindre les alliés, il a été mortellement blessé par une mine.

 

SAMEDI 8 JUILLET

L'artillerie alliée arrose les environs de projectiles et même Canisy est touché : à la ferme de la ménagerie, au château et au Montmireil. Impressionnée par les obus, la famille MARIE, qui exploite la ferme de la Ménagerie, a commencé à évacuer avec son important bétail : elle a dû faire demi-tour au milieu de la bourgade n'ayant pas obtenu de la mairie l'ordre d'évacuation. Cet ordre lui fut donné le lendemain.

 

DIMANCHE 9 JUILLET

Ce matin, il y a une grande activité : avions, bombes, mitraillage, passage de tanks et de camions. Des ordres de départ sont donnés. Le village du Breuil est évacué. La maman invalide de M.LE QUERTIER, cordonnier, est arrivée de Rampan en « brouette ». Ernest REQUIER a reçu deux polonais chez lui, exténués, ils venaient de passer cinq semaines sur le front.

 

LUNDI 10 JUILLET

Sur ordre d'évacuation reçu à 3h du matin, les familles GROUALLE et Hervé OSMOND et des réfugiés de Saint-Lô sont partis précipitamment vers 5h du matin. Elles se sont regroupés au bourg et ensuite pris la direction de la côte à Muneville-sur-Mer.

Ce matin, deux bombes sont tombées avec un grand fracas derrière l'abattoir au village de Calenge, brisant les vitres de la maison de Joseph PERREE. Un allemand à pied, précédant 27 vaches et 4 veaux, suivi d'une carriole, passe dans le bourg.

 

Un poste de secours de la Croix-Rouge est installé avec un chirurgien chez Mme BRIARD au village de la Hardonnière. Sous l'occupation, cette belle demeure servait de « Casino » pour les allemands. Mme BRIARD, déjà âgée, dut supporter les réjouissances et beuveries de la troupe.

 

Sur ordre, les réfugiés ne sont plus autorisés à se diriger vers Gavray mais sur la région de Villedieu, route de l'exode comme l'indiquent les panneaux. De ce fait les autorités de cette ville sont obligés de « parquer » les très nombreux réfugiés dans les champs aux alentours de Villedieu.

Lecture par Mme Dauxais
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MARDI 11 JUILLET

Le front se rapproche du côté de la commune d'Hébecrevon où l'on se bat à la mitrailleuse. Les civils doivent évacuer à 6 km de la ligne de front. Les allemands sont terrifiés par l'attitude des soldats noirs, incorporés dans l'armée américaine, qui grimpent dans les arbres pour les surprendre et les attaquer. Un allemand revenant du front a dit dans le café de Mme REQUIER que cette façon d'attaquer était contraire aux lois de la guerre.

 

MERCREDI 12 JUILLET

Un poste de secours a été installé au château pour les blessés allemands et des prisonniers américains sont gardés chez Mme LEPELLETIER à l'hôtel de la gare.

Les allemands ont obligé les agriculteurs à fournir à 4000kg de beurre en boites de 10 et 20kg pour le canton. Un centre d'accueil a été aménagé chez Me LE JEUNE au bourg pour les réfugiés de passage. Des blessés ne cessent d'arriver chez les religieuses et certains, hélas, ne survivent pas.

Installation des batteries de la DCA dans les prés de la Calenge. Deux avions alliés sont pris à parti mais s'en sortiront indemnes.

 

JEUDI 13 JUILLET

Des chars de plus en plus nombreux circulent dans toutes les directions. L'un de ces chars transporte un cadavre recouvert d'une toile.

Des blessés allemands et peut-être des civils ainsi que des morts sont transportés au centre d'accueil du château. Certains corps seront enterrés dans le parc face à la route de Saint-Lô. M.Jean DUHAMEL, âgé de 44 ans, maraîcher à Carentan, décédera au château le mercredi 12 à 1 heure.

La Préfecture est repliée à Lengronne.

Un cantonnement est installé à Bouchefontaine, il y a des Mongols avec leurs petits chevaux à longs poils pour le transport des munitions de la gare de Canisy au bois de la Motte, à St Martin de Bonfossé.

 

VENDREDI 14 JUILLET

Le défilé d'évacués continue : jamais il n'y aura eu autant de piétons sur les routes. Certains de ces réfugiés partent avec des ordres d'évacuation tandis que d'autres quittent sous la menace des mitraillettes des occupants.

Un terrible accident est survenu dans le haut du bourg où une quinzaine de personnes a été blessée par une chenillette qui manoeuvrait précipitamment, pourchassée par l'aviation. Un homme et un enfant trouveront la mort. Mme OZENNE a été blessée à l'épaule et Mme VALENTIN Louise a été transportée au centre de secours sans connaissance. M.René MARIETTE, 38 ans, venant de la Chapelle-Enjuger, décédera au village de la Hardonnière.

Des blessés allemands arrivent chaque jour de plus en plus nombreux au château. Des voitures les apportent et repartent aussitôt. Le chirurgien opère sans relâche et ces blessés, après les soins, sont dirigés vers l'arrière-front.

 

SAMEDI 15 JUILLET

M.l'abbé LENORMAND, curé de la Paroisse, vient d'annoncer que les allemands évacuent leur centre médical et leurs blessés du château. Le canon tonne de plus en plus violemment.

Ce midi en deux heures, 185 repas viennent d'être servis aux réfugiés de passage par le centre d'accueil aménagé chez Me LE JEUNE.

Composition du menu :

  • 1 tranche de viande de pot-au-feu + pommes de terre

  • 1 tranche de pain, fromage et cidre.

Ces mêmes réfugiés reviendront manger ce soir et coucheront sur la paille dans les salles préparées à cet effet.

Lecture par Isabelle Dauxais
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DIMANCHE 16 JUILLET

L'évacuation continue, en carriole, dans des charrettes archaïques appelées « marengottes ».

Que font les américains ? Pourquoi n'avancent-ils plus ?

Les gens de la bourgade s'interrogent et commencent à trouver le temps long. Certains soldats allemands comprennent la misère des réfugiés et essaient plutôt de l'atténuer tandis que d'autres semblent plus agressifs.

 

LUNDI 17 JUILLET

Cette nuit, les chars sont montés vers le front dans un bruit infernal et, dans la matinée, longue reconnaissance d'avions.

Un soldat allemand en bras de chemise et sans calot, pousse devant lui un troupeau de vaches – manière à lui de se faire passer pour un agriculteur et ainsi d'échapper au mitraillage des alliés.

Nombreux coups de canon cette nuit et l'on entend toujours des « ya » et non des « yes ».

Des bombes sont tombées sur le village de la Calenge : il y a des chevaux de tués.

 

MARDI 18 JUILLET

La nuit est bruyante comme les précédentes en raison du passage des nombreuses voitures et tanks et, ce matin, nous entendons les grosses pièces d'artillerie installées près de la ferme de Bouchefontaine chez M.FRANCOISE. Les alliés ont répondu et un obus est tombé sur le village du Montmireil – les éclats se sont éparpillés jusque sur la bourgade.

Les allemands, qui ont pris possession de la ferme d'Hervé OSMOND, ont trouvé les cachettes faites en toute hâte par M. et Mme OSMOND en raison de la terre fraîchement remuée : cuivres, linge ainsi que de l'eau de vie ont été dévalisés.

Hier soir sont passés des blessés assis à l'avant d'un char. Derrière eux sous une bâche devaient se trouver des cadavres qui ont été enterrés sur le territoire de la commune. Deux groupes d'une dizaine de soldats à l'allure très fatiguée, sont passés : et à nouveau, ce matin, un autre groupe toujours dans la même attitude. L'aviation leur a beaucoup fait la chasse dans la région. Hier et en ce moment, ce sont les pièces d'artillerie. Les villages de Bouchefontaine et le Hardichon ont été priés d'évacuer. Dans ce dernier village est installée la cuisine qui ravitaille le front. Les véhicules qui partent au front ne reviennent pas tous. Deux allemands montent le bourg avec un « petit veau » à l'attache, un gendarme-lieutenant vient de leur faire faire demi-tour. Quatre bombes sont tombées sur une pièce d'artillerie qui donne très fort de temps à autre.

 

Des bruits courent : les allemands disent que les américains vont attaquer ce soir. En effet, de nombreux camions se dirigent avec du matériel de toute sorte – même de la literie, vers Quibou. Les soldats semblent surpris de voir l'attitude paisible des habitants à peu de distance du front.

A la même heure, Eugène MAINE passe avec un cercueil sans doute destiné à une jeune fille, Mlle LEBRUN, gravement blessée sur le pont de Candol et qui est décédée au centre d'accueil chez les religieuses. De cette même famille, le père et quatre enfants ont été tués, la mère et une autre jeune fille ont été grièvement blessées.

Vers 22 heures, tous les habitants rentrent brusquement dans les maisons : un obus vient de tomber non loin, un deuxième sur la place du bourg atteignant la maison de Jules RIVEY et détruisant les meubles, puis un troisième. Ce lancement d'obus par intervalles était le signe pour les habitants d'évacuer d'urgence.

Evacuation de l'état-major allemand qui stationne dans les maisons VOISIN et HAMEL à Bouchefontaine.

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MERCREDI 19 JUILLET

La nuit a été très mouvementée : à 4h du matin, les allemands enterrent un des leurs. Les honneurs militaires lui sont rendus. Le front ne doit pas être loin à en juger la poussière rouge couvrant leurs uniformes. Dans la nuit, l'artillerie est très active -apparition des fusées éclairantes.

Ce matin à 8h, dans le bourg, trois allemands sont passés conduisant chacun une vache. Les familles sont restées dans le bourg malgré une fin de soirée assez agitée.

De temps à autre, le canon tonne violemment et sans arrêt pendant un certain temps. On dit que les américains seraient dans Saint-Lô.

Ce midi, on vient d'arrêter le Comte de KERGOLAY, sa femme et ses deux filles -retour dans trois jours, c'est un ordre qui vient d'en haut, leur a t-on dit.

La soirée est très bruyante, des obus ont dû tomber sur le château. Les avions mènent une grande activité autour ainsi qu'au-dessus du bourg entourés par les tirs de la DCA. Le tout est impressionnant.

Les tanks remontent vers Saint-Martin de Bonfossé.

Pour cette nuit, l'ordre est donné aux habitants de laisser leurs logements ouverts à la troupe. Les familles COSNE, LE QUERTIER et autres évacuent. Le canon tonne toujours et les portes tremblent sans arrêt. Le village de la Basse-Mesleraye a été atteint par les torpilles lancées d'un avion au moment où les cuisines roulantes prenaient la route. Une femme a été gravement blessée et son mari M.Louis COUPPEY, âgé de 24 ans et domicilié à Cherbourg, a eu les jambes coupées et décédera dans la nuit à 2 heures. Plusieurs autres réfugiés ont été blessés. Heureusement, les familles de ces villages étaient parties de la veille sur un conseil amical d'un allemand qui a dit à l'une d'elles : « Partez ! Si c'était ma mère, je lui dirai de partir. »

Les ordres d'évacuation des civils sont donnés aux habitants des villages qui ont des allemands ou des pièces d'artillerie dans leur voisinage, mais cet ordre n'est pas encore donné dans la bourgade.

Un camion allemand est resté sur le bord de la route de Saint-Martin. Constamment survolé par les avions américains, Mme Germaine NICOLLE, qui habite dans le voisinage, y a mis le feu.

 

JEUDI 20 JUILLET

L'horloge de l'Eglise est arrêtée, les allemands ont tiré dans le clocher. Il est 19 heures. Un violent orage se déclare auquel s'ajoute le bruit du canon. Les personnes âgées et six blessés de la veille sont embarqués sur Mortain. La moitié des habitants de la bourgade s'en va et le poste de secours s'apprête à évacuer demain matin, les allemands poussant devant eux les habitants.

On apprend ce midi que la famille de KERGOLAY a été libérée à Vire et dirigée sur Paris, sur le Conseil des allemands qui leur ont recommandé de ne pas rentrer dans le département de la Manche.

 

VENDREDI 21 JUILLET

Il est 13h30, la famille Ferdinand LEPLATOIS, encore dans ses murs, se camoufle dans les recoins de la maison en raison de la chute d'une soixantaine d'obus dans le bas du bourg. La nuit est très bruyante : la peur s'installe. Le fils aîné de M.GIRES est blessé sans gravité : l'éclat a frappé sur son porte-feuille, le protégeant d'une grave blessure. Il n'en a pas été de même pour sa maman, Marie-Louise GIRES, âgée de 60 ans, qui a été mortellement blessée à 6 heures du matin.

Lecture par Mme Vicenzi
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SAMEDI 22 JUILLET

Devant ce danger, la famille LEPLATOIS se décide à partir à 11 heures sous une pluie battante avec trois chariots et une brouette chargés de bagages.

Poursuite des tirs croisés de 105 et 155 qui ont atteint une grande intensité dans la nuit. La famille VIEILLARD, restée seule au village de la Valette, part à son tour en entendant distinctement du côté de Candol le son des clairons américains. Elle a traversée le bourg désert et s'est dirigée ensuite vers la route de St-Martin. Du village du Four, Hélène HOUSSET, MM.Désiré LEFEBVRE, meuniers à St-Gilles et Mlle Virginie HOREL se dirigent vers Quibou pour se rendre à Carantilly. Le groupe est interpellé en passant dans le bourg par une personne qui leur dit : « n'allez pas par là, vous vous jetez dans la gueule du loup. » En effet, le front est déjà très près. Cependant, ces personnes ont pu gagner Carantilly et ensuite Notre-Dame de Cenilly le lendemain.

Il reste donc quelques familles dans la commune ce soir. Au village de Castillon, la famille BEAUFILS restera terrée dans sa ferme.

 

DIMANCHE 23 JUILLET

Depuis le 6 juin, la plupart des dimanches se passent dans un calme relatif : quelques tirs d'artillerie, des avions de reconnaissance, des transports de troupe. Aujourd'hui, de part et d'autre, une pause semble être observée sur les deux fronts.

 

LUNDI 24 JUILLET

Un communiqué reçu au château fait état d'un bombardement systématique du front dans le secteur de Canisy. En effet, outre le duel d'artillerie provoqué par les batteries allemandes sur les forteresses volantes qui sillonnent le ciel, les alentours de Canisy et Marigny subissent un pilonnage en règle. Les avions tournent sur Canisy comme pour changer de cap. Les éclats tombent sur les toits. (témoignage de M.Albert ALLIX)

L'employée de M.LOUET, percepteur, vient d'être blessée très grièvement au centre d'accueil chez les religieuses où le docteur NEGRIE a tenté de la sauver.

« Entre Saint-Lô et Périers, la guerre du bocage continue de progresser pas à pas. Le général COLLINS a avancé de deux kilomètres en neuf jours et il est arrivé à proximité de la route » de Saint-Lô/Périers.

Du côté allemand, les hommes des la Panzer-Lehr pensent qu'ils ne seront pas assaillis par les chasseurs bombardiers ce jour en raison du temps couvert.

Un premier bombardement a lieu : 1600 bombardiers décollent d'Angleterre (500 d'entre eux décident de faire demi-tour en raison de la couverture nuageuse, 300 bombardiers de la 3ème vague vont vider leurs soutes mais ils feront aussi des dégâts parmi leurs troupes. Le général BRADLEY décide alors de lancer l'opération COBRA. » (éditions HEIMDAL)

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MARDI 25 JUILLET

« A neuf heures, 1500 bombardiers vont larguer 3300 tonnes de bombes entre Montreuil-sur-Lozon et Hébecrevon -la route de St-Lô/Périers et le secteur de Marigny/St-Gilles. Il y aura de nouveau de lourdes pertes dans le secteur américain. En secteur allemand, les pertes sont très importantes : il n'y aura plus un seul char en état de marche parmi les 40 Panzer engagés. La division Bayerlein est anéantie. Sur les 5000 hommes engagés , il ne reste que 2500 survivants. (éditions HEIMDAL)

 

Canisy est sous le feu des canons américains. Pas un soldat dans le bourg. Un gros char allemand qui semble dérouté, traverse le bourg à toute vitesse. Les obus tombent et les forteresses volantes recommencent leur survol – même scénario que la veille.

La DCA se déclenche : 3 pièces d'artillerie installées au village de la Boucherie chez Mme Arielle OSMOND et 3 autres à la Haute-Mesleraye ainsi que d'autres canons dispersés dans les villages, tirent. Les avions progressent imperturbablement en formation de six appareils : plusieurs d'entre eux sont touchés et s'écrasent en flammes. (témoignage d'un Canisyais)

 

Soudain, un soldat allemand se présente, il me tend son pistolet mitrailleur, il est blessé... il en a assez... je le conduis au poste de secours pour y recevoir des soins et lui donner un repas. M.André LECLUZE, qui parle allemand, lui apprend qu'HITLER a été victime d'un attentat : le soldat ne semble pas prêter attention mais quand il lui annoncera que ROMMEL a été mitraillé, il s'arrêtera de manger, interloqué. A ce moment, l'allemand nous apprend que les américains sont à 4 kilomètres...et il disparaît après son repas. (M.Albert ALLIX)

 

Ce jour-même, un cycliste qui descendait le bourg, ayant refusé de donner sa bicyclette à un allemand, a été abattu sur le champ, face à l'étude de Me LE JEUNE.

 

MERCREDI 26 JUILLET

Nouveau bombardement à 9 heures. Le général COLLINS envoie des éléments de ses deux divisions blindées (la 2ème et la 3ème) à travers la mince tête de pont. Des éléments allemands ont tenté de se ressaisir, la Panzer-Lehr a réussi à réparer quelques chars endommagés et elle peut en aligner maintenant 14 à Canisy et 14 autres rejoindront le Panzer-Lehr.Rgt 130 le lendemain. Mais cela ne sera pas suffisant pour enrayer l'assaut du combat Command A de la 2ème DB US qui prend St-Gilles où il dépasse les épaves de plusieurs Panzer, traverse enfin la route de Saint-Lô/Coutances, continue sur Canisy et atteint même St Samson de Bonfossé dans la soirée.

(éditions HEIMDAL)

 

Nous apprendrons que le général allemand Bayerlain, qui s'était replié sur Quibou où il avait installé son PC, s'est déplacé jusqu'à Canisy au village de la Boucherie où se concentraient son artillerie lourde et ce qui restait de la DCA en mauvais état.

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LA TROUEE DE NORMANDIE

 

LE GRAND BOMBARDEMENT – LA PERCEE

 

Soudain quatre chasseurs piquent sur nous, passent et repassent en déchirant l'air au ras des toits.

-Nous sommes perdus. Tout va sauter ! dit quelqu'un.

Mais les chasseurs tournoient sans tirer ; la seule explication possible, c'est qu'ils accompagnent les chars...et que ce sont les Américains ! D'un bond, tout le monde s'extrait à nouveau de l'abri.

Sous notre nez, raconte M.LECLUZE, une énorme tourelle pivote, nous menaçant de son canon. Des G.I surgissent :

  • Go ! Go ! Tout le monde château !

  • C'est impossible. Ici Croix-Rouge française !

  • No tout le monde château !

 

Entourés par les Américains, nous avons l'air de prisonniers. Des obus allemands nous encadrent dans la rue. Les batteries tirent de Quibou ou Dangy. Nous remontons une longue file de chars, d'ailleurs très impressionnante, massée sur le côté droit de la route, depuis le virage au bas de la côte, jusqu'au carrefour au centre du bourg.

J'aperçois des flammes. La boucherie et « Le cheval blanc » ne sont qu'un brasier. Go ! Crient les Américains.

Les mains sur la nuque poussés par les G.I, des soldats vert-de-gris marchent puis trébuchent sur des fils téléphoniques. D'autres suivent les bras levés.

Les Américains nous conduisent au château. Nous passons notre première nuit enfermés dans l'une des caves, une sentinelle à la porte.

Pour circonscrire le feu qui menace de ravager le bourg, nous obtenons l'autorisation de sortir, une sentinelle sur nos talons. Nous réalisons alors que tout pâté de maisons autour du « Cheval blanc » est sérieusement atteint et que, pour limiter les ravages du feu, il faut tenter quelque chose. Pensant à une évasion possible de notre part, la sentinelle nous refuse toute liberté et se montre intraitable.

La rage au cœur, nous rentrons au château.

 

LA PRISE DE CANISY (26 JUILLET)

 

Fier du succès du général ROSE, COLLINS le presse dans l'après-midi du 26 de poursuivre vers Canisy afin de s'emparer des trois hauteurs qui commandent tout ce secteur au débouché de Saint-Gilles. C'est en outre une ligne de défense idéale au cas où l'Allemand lancerait une contre-attaque.

Les champs de mines sont beaucoup plus espacés, les tirs des canons de Pak ou de l'artillerie faiblissent. Haies et cratères de bombes sont les principaux obstacles. Les chars progressent. En fin d'après-midi, le général ROSE signale que l'opposition de l'adversaire est devenue négligeable ; ils pensent arrêter ses colonnes.

  • Poursuivez votre attaque de nuit ! Répond COLLINS.

Cette disparition soudaine de résistance s'explique par le fait que le Combat Command A attaque sur la limite même des 84ème et 2ème corps. Or la Panzer Lehr étant responsable de cette route, elle était désormais grande ouverte avec l'anéantissement de cette unité. D'autre part, il était impossible aux éléments de la 352ème D.I, pris sans cesse de vitesse par l'avance des blindés US, de tenter une action contre des colonnes qui les débordaient avec une telle rapidité.

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Maurice ROSE – Libérateur de CANISY

La prise de Canisy le 26 juillet

A 7h du matin, au moment où BOUDINOT s'élance vers Montreuil, à l'autre extrémité du « tapis », le Major-Général Mauric ROSE à la tête du Combat Command A de la 2ème DB US attaque avec ses blindés en direction de Saint-Gilles, l'objectif n°2 de la percée. Le 22ème R.I du Colonel LANHAM participe à l'assaut.

Devant ce succès incroyable, COLLINS félicita chaleureusement le Général ROSE... « l'un des plus brillants capitaines de l'armée blindée des Etats-Unis », m'a-t-il dit. Les chars de ROSE venaient en effet d'enfoncer le front ennemi sur 15km de profondeur.

 

La Trouée de Normandie – A.Pipet.

 

 

MERCREDI 26 JUILLET

M.Paul REBUFFET a participé à la libération de Canisy.

Son témoignage :

Lorsque les Américains sont arrivés, j'étais enfermé dans la tour en compagnie de réfugiés et de soldats allemands qui voulaient se battre.

Une infirmière, réfugiée de Cherbourg, a réussi à les neutraliser en leur faisant comprendre que la bataille était perdue. Ensuite, mon père, Raoul REBUFFET, qui parlait anglais, est intervenu en entrebaillant la porte avec un tissu blanc au bout d'une canne, afin de signaler la redition des allemands. Les soldats sont sortis en jetant leurs armes que les américains détruisaient sous leurs yeux. Ensuite, ils ont fait prisonniers les 30 personnes qui se trouvaient dans la tour. (civils et militaires pour faire le tri)

 

Craignant une vice résistance de la part des allemands, les américains avaient installé un bazuka face à la tour.

 

Pendant ce temps, les maisons brûlent dans le bourg, le clocher est incendié. M.SALLE, juge de paix, qui était à jouer de l'orgue, est grièvement brûlé et transporté sur une civière par MM.LE JEUNE et LECLUZE. Il décédera vers 17h.

Ce bombardement a fait de gros dégâts, le feu va détruire la boucherie, l'auberge de M.LEMOINE et les maisons attenantes.

MM.REBUFFET et LOZACH, réfugié cherbourgeois, sont autorisés à quitter le château pour aller éteindre l'incendie. Au cours de cette opération, une poutre blessera M.REBUFFET à l'épaule – il sera soigné par un infirmier américain. (voir photo)

Les familles LE JEUNE et LECLUZE, entendant les tirs croisés des deux artilleries, s'apprêtent à partir.

Vers 22 heures, arrivée des Américains dans le bas du bourg ; ces derniers, surpris de trouver des civils – les premiers rencontrés depuis la Chapelle-Enjuger- les suspectent et les emmènent sous bonne garde au château. Les deux familles ont traversé, en pleine nuit, le bourg jonché de fils électriques. Elles ont été questionnées par les américains qui ont vérifié leur identité.

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MERCREDI 26 JUILLET : témoignage de Mme Germaine PACARY

Un obus étant tombé sur la maison d'Auguste BOULLOT située route de la gare, la famille évacue le logement pour se rendre au château. Déjà de nombreux réfugiés se camouflent dans la tour et dans la cave située au-dessous de la salle à manger.

A un moment de la journée, trompant la surveillance des allemands, l'abbé TRAVERS, aumônier, sort du château et traverse les lignes pour vérifier la position des troupes. A son retour, il prévient les civils enfermés de l'arrivée imminente des soldats américains.

Vers 17h, arrivée des Américains avec de nombreux chars. Les soldats sont armés jusqu'aux dents avec des colliers de grenades et même des poignards dans les chaussures. Les réfugiés sont prévenus de ne pas sortir.

Lorsque les libérateurs pénètrent dans le château, une dizaine de soldats allemands d'un service sanitaire hissent le drapeau blanc en signe de reddition. L'un d'entre eux étant resté caché, les américains font une fouille armés de fusils et de poignards. Ils trouvent finalement le soldat qui, avant de se rendre, brise son fusil sur ses genoux.

La porte de la cave est ouverte par l'adjudant allemand qui libère les civils français. Auparavant, les allemands avaient dévalisé la cave et emporté une partie du champagne. Les américains se chargeront d'emporter les restes dans leurs jeeps.

Dans la soirée, la plupart des chars quittent la cour du château et le parc : il en reste quatre, puis deux.

 

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LA TROUEE DE NORMANDIE

Au soir du 26, le front du 7ème corps a la silhouette d'une main fermée enfoncée dans le front allemand et dont l'index serait tendu. Cet index partait de Saint-Gilles pour atteindre Le Mesnil-Herman à 10 kilomètres plus au sud !

Devant ce succès incroyable, COLLINS félicita chaleureusement le général Maurice ROSE.. ; »l'un des brillants capitaines de l'armée blindée des Etats-Unis »m'a-t-il dit.

Les chars de ROSE venaient en effet d'enfoncer le front ennemi sur 15 kilomètres de profondeur !

Solidement appuyé sur les hauteurs du Mesnil-Herman, COLLINS se prépare le lendemain à lancer deux colonnes blindées vers l'ouest :

  1. Celle du général HUEBNER en direction de Coutances. Sur elle reposent tous les espoirs de « Cobra ».

  2. Celle du Combat Command B de la 2ème DB, perçant de Canisy vers Gavray qui a surtout une mission de protection.

Plus tard, lorsque le tapis sera dégagé, une troisième colonne se dirigera vers Cerisy pour couvrir le flanc sud du général HUEBNER.

Ainsi, ces trois colonnes progressant séparément pourront se protéger mutuellement telles les tuiles d'un toit, fort loin sur les arrières de l'ennemi.

Juste après Canisy, le général ROSE partagea son groupe en deux colonnes. L'une se dirigea vers le sud-est, en direction de Saint-Samson de Bonfossé, l'autre au sud vers le Mesnil-Herman. Alors que l'état-major de la division pensait que le groupe avait fait halte pour la nuit, ROSE, n'ayant qu'une seule idée en tête, poussait ses hommes en avant avec détermination, pour se conformer aux ordres du général COLLINS et du général BROOKS (34). Une heure avant minuit, l'une des colonnes entrait dans Saint-Samson de Bonfossé, sans combattre. Trois heures plus tard, l'autre s'emparait du carrefour immédiat au nord du Mesnil-Herman. C'est seulement à ce moment-là, qu'ayant une partie de son objectif initial bien en main, le général ROSE accorda une halte.

 

Le lendemain matin, 27 juillet, tandis que les batteries du 14ème bataillon d'artillerie légère se déplaçaient par bonds successifs pour assurer continuellement leurs tirs de soutien, le groupe de combat se heurtait à des tanks ennemis et des canons antichars avant de s'emparer définitivement du Mesnil-Herman. La cote 183 tomba dans l'après-midi. Après quoi, le groupe de combat A avait achevé sa première mission. (35)

 

juillet :

Tandis que le « combat B » du général BROOKS se dirigeait vers Notre Dame de Cenilly, le « combat Command A » , sous la direction du général ROSE, prenait position au Mesnil-Herman puis libérait ensuite Moyon, Villebaudon...au prix de durs combats.

 

Août : la 3ème DB est commandée par le Major Général LEROY H.WATSON qui sera transféré le 6 août au 12thArmy Group. Il sera alors remplacé par le général Maurice ROSE qui mènera la pointe blindée de la 2ème DB US.

 

Le général ROSE, énergique, ferme, rapide dans ses décisions, dirigera alors la division à la tête de ses troupes, et c'est à la tête de ses troupes qu'il trouvera la mort fin mars 1945 tué avec quelques-uns de ses tankistes en première ligne.

 

Editions HEIMDAL-COBRA 1984

 

Le 2 avril 1945 en fin de journée, l'inévitable s'accomplit, c'est-à-dire que la 3ème DB américaine qui roule en tête de la 7ème CA (1ère armée) opère à LIPPSTADT sa jonction avec la 8ème DB venue de HALTERN.

Au cours de ce combat, le Major Général ROSE qui commandait la 3ème DB à la hauteur de son exploitation tombe de la mort des braves.

Editions Rombaldi 1968.

 

 

 

 

JEUDI 27 JUILLET

La matinée est plutôt calme. Au château, il faut nourrir les réfugiés. Mme Germaine PACARY est sollicitée par Mme de VENDOEUVRE, infirmière, pour aller traire une vache dans le parc ; un américain l'accompagne et armé de son fusil, va s'asseoir à ses côtés. Il ira avec elle chercher les légumes au potager. Mlle Jacqueline REBUFFET, également très courageuse, apportera son aide pour les divers travaux (traite également)

 

Bombardement sur le château par les allemands

Il est environ 23h, deux bombes incendiaires tombent : l'une traverse les étages jusqu'à la cave détruisant au passage la table qui avait servi au repas partagé entre les réfugiés et les américains et que le groupe venait de quitter.

Le feu s'est déclaré enveloppant les occupants d'un produit imitant le goudron – sans doute du phosphore-, Mme PACARY nous dira qu'il a fallu chauffer de l'eau pour nettoyer cette matière qui collait à la peau. Plusieurs réfugiés sont là : des personnes que les Américains avaient amenées de Rémilly-sur-Lozon. Une grand-mère grièvement brûlée va mourir et sa petite-fille est brûlée aux jambes. Je retire mon père, Auguste BOULLOT ; il est couvert de gravats. Les américains nous emmènent dans la grosse tour pour y passer le reste de la nuit.

 

La seconde bombe est tombée sur l'un des chars en stationnement dans la cour du château. Les deux occupants ont jeté leurs papiers personnels avant d'être mortellement blessés.

 

Mme de VENDOEUVRE, infirmière, était parmi les habitants temporaires du château. Du fait qu'elle logeait dans une tour, elle n'a pas été blessée.

 

(témoignage de Mme PACARY)

 

JEUDI 27 JUILLET

La matinée est plutôt calme. Au château, il faut nourrir les réfugiés. Mme Germaine PACARY est sollicitée par Mme de VENDOEUVRE, infirmière, pour aller traire une vache dans le parc, un américain l'accompagne et, armé de son fusil, va s'asseoir à ses côtés. Il ira chercher avec elle les légumes au potager. Mlle Jacqueline REBUFFET également très courageuse apportera son aide pour lesz divers travaux (traite également)

 

Bombardement sur le château par les allemands

Il est environ 23h, deux bombes incendiaires tombent :

l'une traverse les étages jusqu'à la cave détruisant au passage la table qui avait servi au repas partagé entre les réfugiés et les américains et que le groupe venait de quitter.

Le feu s'est déclaré envelop^pant les occupants d'un produit imitant le goudron -sans doute du phosphore-, Mme PACARY nous dira qu'il a fallu chauffer de l'eau pour nettoyer cette matière qui collait à la peau. Plusieurs réfugiés sont là : des personnes que les américains avaient amenées de Rémilly sur Lozon. Une grand-mère grièvement brûlée va mourir et sa petite-fille est brûlée aux jambes. Je retire mon père, Auguste BOULLOT : il est couvert de gravats. Les américains nous emmènent dans la grosse tour pour y passer le reste de la nuit.

La seconde bombe est tombée sur l'un des chars en stationnement dans la cour du château. Les deux occupants ont jeté leurs papiers personnels avant d'être mortellement blessés.

Mme de VENDOEUVRE, infirmière, était parmi les habitants temporaires du château. Du fait qu'elle logeait dans une tour, elle n'a pas été blessée. (témoignage de Mme PACARY)

 

Madame LECLUZE raconte :

Au moment de ce bombardement, M.LECLUZE a voulu aller rechercher dans la cave sinistrée sa précieuse valise (objets personnels). Ne connaissant pas les lieux, il ne dut son salut qu'au Dr NEGRIE qui lui a indiqué la porte de sortie afin de lui éviter l'asphyxie.

Au retour dans la bourgade de la famille LECLUZE, cette valise a été portée par Jean MARIN qui n'était autre que la personne qui lui a lancé l'appel avec le Général de GAULLE le 18 juin 1940. Tous les soirs, le message suivant était annoncé par la BBC : « les Français parlent aux français. »

Le lendemain, la famille LECLUZE a regagné son logement qui était en partie détruit, elle a dû coucher dans une tranchée sur le terrain des Roques la nuit suivante, tandis que la famille LE JEUNE réintégrait sa demeure sans encombre.

Lecture par Mme Vicenzi
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VENDREDI 28 JUILLET

Dans l'après-midi, les américains ont autorisé les familles réfugiées au château à revenir dans la bourgade en leur recommandant de ne pas circuler sur la route afin de laisser les convois passer librement.

En quittant l'avenue du château, ils trouvèrent le cadavre d'un soldat au pied du calvaire. La famille BOULLOT s'est rendue au village de la Vannerie avec d'autres civils regroupés par les américains. A nouveau Germaine a été demandée pour traire des vaches récupérées aux alentours afin de nourrir tous ces réfugiés.

N'ayant pas de nourriture, ils allèrent jusqu'à manger du vieux pain allemand découvert dans les abris individuels.

Maître LE JEUNE qui remplissait la fonction de Maire, avait donné l'autorisation d'utiliser l'abattoir le cas échéant.

Dans ce village de la Vannerie, une messe a été célébrée le dimanche dans la maison de M.GUENON par un aumônier, sans doute l'abbé TRAVERS.

 

A la ferme de St Gilles, un service sanitaire américain est tenu par des noirs. Sa fonction est de ramasser les cadavres des soldats pour les inhumer dans les cimetières prévus à cet effet.

Dans la propriété d'Alphonse LEMERRE au Montmireil, des habitants ont aperçu des têtes de soldats au bout de piques.

(Récit de plusieurs témoins)

Le retour des habitants dans la bourgade début du mois d'août

Il n'y avait plus d'électricité

MM.Paul REBUFFET et Léon LESOUEF, ainsi que M.LOSACH ont entrepris de redonner un souffle de vie dans la bourgade et au village de la Vannerie. Avec la récupération du fil américain, les trois hommes sont allés chez M.Eugène MAINE, menuisier. Le branchement sur une machine das l'atelier a permis de redonner un éclairage succinct (1 ampoule par foyer), dans l'attente de la réorganisation du courant électrique par l'EDF.

(témoignage de M.REBUFFET)

 

Derniers combats relatés par un témoin lors de la libération de CANISY, le 26 juillet

M.Marcel GIRES qui venait de perdre sa mère mortellement blessée par un obus face à sa demeure, le 21 juillet, dira qu'il a vu les allemands incendier les maisons avec des lance-flammes. Il a vécu les derniers combats entre les allemands et les américains : ils se battaient avec des hachettes sur la place de la mairie.

Lecture par Mme Vicenzi
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M.GIRES fut conduit au château par les américains et quelques rares habitants restés sur place. Le lendemain, il participa avec Me LE JEUNE, M.LECLUZE, et les gendarmes LE JEAN, MOREL et LE BIEZ à l'extinction du feu qui ravageait une partie du bourg et qui risquait de s'étendre vers le bas du bourg.

(témoignage de M.André GIRES, frère de l'intéressé)

 

Les américains ont eu affaire à des allemands de la Croix-Rouge qui ne voulaient pas se rendre étant donné qu'ils n'av aient pas d'armes. Américains et allemands se sont donc battus en corps à corps. Les cadavres sont restés plusieurs jours dans le centre et deux autres cadavres étaient restés face à la gendarmerie.

Les derniers allemands qui se battaient pour arrêter l'avance des américains faisaient partie de formations d'élite entraînées pour ce genre de combats.

 

Ce témoignage vécu sur la prise de Canisy confirme les récits précédents : la bataille fut très âpre en plus des bombardements et des tirs d'artillerie. Les américains auraient perdu environ 90 soldats aux alentours de Canisy.

 

Au débarquement,nous étions à DANGY chez les GEORGES, un obus est tombé sur la maison, blessant Maman à la main gauche, lui coupant le petit doigt, l'horreur...Nous avons couru chez les FOLLIOT, qui nous ont recueilli pendant que Maman était à l'hôpital militaire de CARENTAN, et papa en service.

Après cette apocalypse...Le calme, mais quel gâchis, tout est brûlé, tout est meurtri.

De retour à CANISY, je ne reconnaissais plus le bourg...les ruines...l'odeur de poudre, mais on était sain et sauf...avec ce mot qui sonnait à nos oreilles : Armistice la guerre est finie !

Je souhaite que ces quelques lignes vous apportent un plus, pour l'ouvrage que vous êtes en train de faire. Bon courage ? Arlette MOREL.

Lecture par Mme Vicenzi
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Lorsque, en 1942, Jean ALLIX partit pour l'Algérie, il avait dit : « Je reviendrai en libérateur. »

Débarqué à Saint Germain de Varville avec la 2ème DB du Général LECLERC, Jean est venu saluer sa famille à Canisy le 13 août 1944, il fut ainsi le premier soldat français à mettre pied à Canisy.

Trois mois plus tard, devant Strasbourg, il perdait la vie. Il avait tout juste 20 ans.

Une citation à l'ordre de l'Armée lui fut décernée, dans les termes suivants :

« Brigadier ALLIX Jean du 1er R.S.M, gradé intelligent et actif à la tête d'un groupe d'assaut, a participé à la prise de Soubrigny le 16 novembre, se jetant sur les positions ennemies, à travers un violent barrage d'artillerie et d'armes automatiques, ramenant de nombreux prisonniers au cours du nettoyage.

Le 19 novembre, en donnant l'assaut à une position fortement organisée, tenue par un ennemi beaucoup plus nombreux, a progressé sous un feu meurtrier en tête de ses hommes. A été mortellement blessé après avoir atteint son objectif.

(témoignage de son frère Albert ALLIX)

Lecture par Noël Bosc
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Noël Bosc lors de sa lecture en août 2011
Noël Bosc lors de sa lecture en août 2011

Souvenir d'une habitante du village de Bouchefontaine à Canisy qui a vécu des moments tragiques (1939-1944, la libération)

 

Comme chacun le sait, le tocsin a sonné le vendredi 2 septembre 1939 pour la mobilisation générale et, en juin 1940, l'armée allemande envahissait le pays.

Dans notre hameau de Bouchefontaine, les soldats ennemis sont arrivés jeudi vers 11h en side-car à une allure un peu trop rapide pour prendre les virages, et quelques-uns se sont retrouvés au fossé. Ils se sont arrêtés, nous n'avons donc pas été importunés par leur présence. Cependant, nous avons eu très peur et paniqué même puisque notre mère a fait quitter aussi vite le pantalon long que portait mon frère pour en remettre un court et elle a gardé Bernard à l'intérieur de la maison de peur que les allemands le prennent. (les voisins le lui ayant fait craindre).

Seul le bourg a été occupé pendant 4 ans, mais nous voyions passer de temps à autre les soldats pour se ravitailler dans les fermes.

 

Le 6 juin

La situation s'est renversée, ils ont quitté le bourg pour se réfugier dans la campagne. Notre hameau était envahi. C'est dans notre maison que l'armée avait établi son état-major. La table de nos repas, la desserte à vaisselle et même là-haut, la coiffeuse de maman étaient occupées par les machines à écrire.

La popote était installée sous le gros noyer des voisins, les pièces d'artillerie dans les champs en face sous les pommiers, et quand elles lançaient leurs projectiles, il y avait un tel déplacement d'air que nous étions déstabilisés. Les obus ne faisaient pas que partir, ils revenaient aussi des environs de « la Chapelle-Enjuger » où les soldats américains avaient réussi à approcher : la lutte était rude.

Les avions à double fuselage rasaient nos maisons en sifflant et lançaient des balles traçantes qui zébraient le ciel comme des éclairs. Les gros bombardiers lâchaient leur chargement et tout tremblait : les vitres éclataient, les cadres et miroirs descendaient des murs, même les pots de confiture rangés sur l'étagère nous tombaient sur la tête.

Les soldats occupaient aussi l'atelier de notre père et lui prenaient ses planches et ses outils pour fabriquer à la hête des cercueils sommaires et des croix pour leurs camarades tombés au front quelques kilomètres plus loin. L'un deux a dit un jour à notre père : « Plutôt quize jours à Stalingrad que huit jours ici. », et un tout jeune, pour ne pas repartir à l'attaque, s'est tiré la charge de son fusil-mitrailleur dans le pied alors qu'il était assis sous un châtaigner à le nettoyer.

Quand une accalmie se produisait, nous entendions aussi les cris et les plaintes des malades du « Bon Sauveur » de Saint-Lô que le hasard de la marche avait amenés à la ferme de la « Campagne » à Quibou, tout près de nous et que le personnel attachait aux pommiers pour qu'ils ne s'échappent pas. Les quelques religieuses qui les encadraient avaient bien du mal à canaliser ces pauvres malades qui, pour la plupart, n'avaient pas quitté leurs cellules ni vu le jour depuis longtemps.

Tout cela nous terrorisait : c'était la guerre à domicile.

Nous avons dû quitter « Bouchefontaine » sur un ordre d'évacuation le 22 juillet et nous avons appris à notre retour le 15 août que Canisy avait été libéré le 27 juillet par l'opération « Cobra »

Bernadette VOISIN

 

Le 26juillet, à l'arrivée des alliés, trois habitants du village du Castillon, MM. G.MARIE, Maurice BEAUFILS et M.MARIN ont découvert un soldat américain blessé. Après l'avoir enveloppé dans une couverture, ils lui ont offert à boire mais le soldat méfiant a demandé à Georges MARIE de goûter le breuvage avant de boire à son tour.

En reconnaissance pour leur geste, le blessé a donné son quart, fourchette, cuiller et ouvre-boîte en souvenir. Or, à ce moment-là, un avion de reconnaissance américain qui surveillait l'avancée des troupes a aperçu les 3 hommes. Le pilote a signalé leur présence à un américain au sol équipé d'un émetteur. Après la transmission du message, trois américains ont été envoyés pour les faire prisonniers mais ces derniers ont vite compris le geste des habitants du village. Ils ont donc emmené le blessé avec deux allemands qui étaient faits prisonniers, accompagnés de deux sentinelles américaines. A leur départ, les américains ont crié « Vive la France, Vive l'Amérique ».

Quelques jours auparavant, une DCA allemande, installée à l'entrée du même village, a été détruite par l'aviation américaine. Les six soldats blessés cherchaient une voiture de la Croix-Rouge. Afin de les secourir, M.Georges MARIE les a conduits au village de Grimbert à Quibou. Le village du Castillon est situé près du chemin montois où de nombreux allemands étaient postés.

Georges MARIE

 

Madame Arlette MOREL

Fille de Monsieur MOREL

Gendarme à CANISY de 1941 à 1950

 

Chevaigné, le 23 mars 1994

 

 

Madame RIVEY,

 

 

Comme promis, je vous envoie ces quelques lignes, témoins de mes souvenirs d'enfance et particulièrement la période précédant le débarquement, juste avant de partir à la caserne avec maman, mon frère et mes sœurs. Pour l'exode à DANGY, nous n'aurions jamais dû quitter la caserne.

 

Je me souviens de l'épicier « Le Caïfa » (je ne me souviens plus de son nom, peut-être M.LECOMTE?)

 

Tous les jours ou presque, j'allais à l'épicerie : un jour, j'ai vu un homme de grande taille descendre les escaliers de la chambre, je voyais bien que ce n'était pas un homme de « chez nous » ; je demandais à Maman qui pouvait bien être ce Monsieur qui était chez « le Caïfa. Je fus prié de n'en parler à personne, et si je voyais d'autre Monsieur il ne fallait rien dire.

 

Par le jardin jouxtant la cour de la gendarmerie, Maman et le « Caïfa » échangeaient les renseignements pour « passer » des parachutistes, car c'étaient bien des paras que « le Caïfa » cachait chez lui. Maman me l'a dit peu de temps avant de mourir.

 

Une rencontre avec Daniel JOIGNE m'a appris que bien des jeunes devaient la vie à mon père, Monsieur MOREL. Il prenait des risques partant à vélo la nuit, dans la campagne pour avertir les jeunes de partir de chez eux vite fait : le lendemain matin de bonne heure, il y avait une rafle faite par les allemands. Il arrivait aussi de cacher des hommes en les habillant en gendarme, à l'étonnement des allemands, qui ne trouvaient jamais le nombre exact de gendarmes à la gendarmerie. (confidence de maman à ma sœur Pierrette)

 

A ma mémoire : le bruit des bottes des allemands traversant le bourg, la popotte devant la caserne où la troupe venait chercher à manger, les fusées de toutes les couleurs dans le ciel, le grondement des avions, le bruit des mitraillettes, la nuit où nous couchions tout habillés, la peur quand papa ne rentrait pas de tournée.

 

Extrait du journal « Le retraité militaire »

 

octobre 1985

extrait d'archives

La Gendarmerie de la Manche en 1944

 

Après de puissants bombardements, une brèche est ouverte dans le front et les blindés américains foncent en direction d'une part de Cerisy la Salle, d'autre part, de Coutances et Saint-Sauveur Lendelin.

Le 27 juillet, Marigny était libéré.

Au sud de Saint-Lô, les Américains progressent également : Canisy et Torigni-sur-Vire sont libérés. Percy est occupé le 2 août, Tessy-sur-Vire le 3. Les allemands, en déroute, se replient vers le Calvados en direction de Vire. Le 4 août, tout le territoire de la section de Saint-Lô est libéré. Pendant toutes ces opérations, la gendarmerie a maintenu l'ordre, réprimant le pillage et portant secours aux blessés, inhumant et identifiant les morts.

Les brigades de Carentan, Saint-Clair sur Elle, Tessy et Canisy sont constamment restées sur place. Les autres brigades de la section de Saint-Lô ont du, sous la menace des allemands, se replier dans la région.

A Torigni, l'adjudant LEVEILLE a été tué et le gendarme LEMOIGNE grièvement blessé. (amputé des deux jambes). Deux femmes de gendarmes ont été tuées.

 

« A signaler la belle attitude du Maréchal des logis-chefs Yves LE JEAN, commandant la brigade et des gendarmes Eugène MOREL et Edouard LEBIEZ de la brigade de Canisy, qui sous les bombardements aériens et les tirs de l'artillerie se sont dépensés sans compter, ont porté secours aux habitants et lutté contre les incendies dans des conditions périlleuses. En particulier, par leur action courageuse, ils ont contribué à empêcher que le village de Canisy soit complètement détruit par les flammes. Leur réaction a été remarquée par les troupes alliées. Ils ont fait l'objet chacun d'une citation à l'ordre de la 3ème légion de gendarmerie.

(document communiqué par M. César Guenon)

 

 

Subtilisation d'une carabine par Madame REQUIER et Monsieur Eugène MAINE à un soldat allemand

Ce soldat que nous logions, n'eut-il pas l'idée d'aller chercher une carabine à la gendarmerie de Canisy où les armes étaient déposées, ceci afin de tuer les oiseaux qui picoraient les légumes du jardin de « La Madame », avait-il dit. Il tirait dans toutes les directions, ce qui inquiétait la grand-mère REQUIER qui avait chez elle ses six petits-enfants. Il avait également un risque pour les habitants du voisinage qui allaient et venaient dans la ruelle attenante à sa maison de commerce.

En accord avec Eugène MAINE, il fut convenu de subtiliser la carabine. Prévenu par Mlle Jeanne ANGER, employée de Mme REQUIER, M.MAINE arriva rapidement et prit possession de la carabine. Pendant ce temps-là, Mélina REQUIER entretenait la conversation avec le soldat – un peu court le temps... !

L'allemand rencontra Eugène MAINE qui tenait la carabine enveloppée dans un sac « une pouque » comme disent les normands en patois. » Le soldat a demandé à l'intéressé s'il n'avait pas vu sa carabine et celui-ci le plus innocemment du monde lui répondit par la négative puis fila avec l'arme qu'il remporta chez lui afin de la camoufler.

(témoignage de Madeleine RIVEY)

TEMOIGNAGES

L'histoire des fusils

Pendant l'occupation, M.Eugène MAINE, menuisier, subissait lan présence régulière de trois allemands qui se servaient de son outillage et de ses machines.

Dans cet atelier, il avait camouflé une dizaine de fusils dont un Mauser allemand de la première guerre mondiale (1914-18)

Comment possédait-il ces fusils ?

Eugène avait pris la succession de M.LECANUET, son beau-frère. Celui-ci, ouvrier menuisier-ébéniste, était très adroit et réparait pour un armurier de Saint-Lô les armes détériorées : fusils, carabines...Eugène camoufla donc ces fusils qu'il voulait conserver, sous une cheminée et dans un bac, dans l'atelier même occuppé par les allemands.

(49 ans après le débarquement, voici les faits dont se souvient M.MAINE, âgé de 92 ans)

 

L'histoire d'un soldat

Parmi la troupe qui campait dans le champ près de la maison de la famille REQUIER, au Village Vérité, un luxembourgeois incorporé de force dans la Wehrmacht, était affecté comme ordonnance d'un officier allemand.

Ce jeune soldat parlait couramment le français. Il venait donc préparer la cuisine pour son officier à la maison. Un jour, à notre grande satisfaction, il crachat dans la salade destinée à son chef et devant notre surprise, il ajouta :

« C'est assez bon pour lui. » De plus, il mettait un temps infini à réparer la voiture de son capitaine.

Un mois plus tard, alors que nous nous trouvions sur la route de Saint-Martin, qu'elle ne fût pas notre surprise d'apercevoir notre luxembourgeois debout dans un convoi américain, qui voulant se faire reconnaître nous adressa de grands signes amicaux.

A quel moment a -t-il réussi à franchir les lignes américaines ?

Ce jeune homme ne rêvait que de son pays et de la grande duchesse du Luxembourg à laquelle il avait voué un culte.

 

Odile Requier, au village Vérité

 

Un Canisyais résistant

Maurice HUCK, marchand de poisson, habitait Canisy au village du Montmireil.

Il allait se ravitailler sur la côte en poisson frais.

Tout en exerçant son commerce, il servait d'agent de renseignements afin de transmettre des messages pour la Résistance.

Repéré par la Gestapo, il fut enfermé dans la prison de Saint-Lô au mois de février 1944.

Le 6 juin, l'aviation américaine passe et repasse en lâchant ses premières bombes sur la gare de Saint-Lô et en direction de la Centrale électrique d'Agneaux. Ces bombes, je les ai vues tomber dès le matin du 6 juin car je me trouvais dans la ville pour chercher ma fille et mon fils en permission.

M.HUCK m'avait raconté que ce 6 juin, un appel téléphonique anonyme avait ordonné de libérer les 12 otages, ce qui fut fait. Une heure plus tard, contre ordre, on cherche les libérés.

Je l'ai questionné souvent, il n'a jamais su d'où venait ce mystérieux coup de téléphone.

A quel moment a-t-il pris le temps de secourir le docteur PHILIPPE, immobilisé sous les décombres de la prison de Saint-Lô ?, le sauvant ainsi d'une mort certaine. (Ceci d'après les récits des neveux du Dr PHILIPPE)

Le journal la Manche Libre du 15 août 1993, publie un article rédigé par M. Marcel MENANT, résistant, âgé de 84 ans, qui lève enfin le voile sur l'origine de ce coup de téléphone qui libéra Maurice HUCK et ses compagnons.

 

L'interprète Jacques DELACOUR, alias Liberman, était juif et incorporé dans l'armée allemande. Il avait réussi à se faire enrôler comme interprète à la Feldkommandantur et c'est lui qui donna l'ordre de libérer douze prisonniers. (témoignage de Madeleine RIVEY – Canisy)

 

Les habitants du village du Castillon n'ont pas quitté leur demeure

Ils ont été libérés par les troupes de choc américaines. Leur tenue en mauvais état était déchirée et sale. Il y a eu un combat car un soldat américain a été retrouvé mort dans la mare face à l'habitation.

Maurice BEAUFILS et un ami ont été autorisés à venir dans la bourgade qui était occupée par la troupe américaine et c'est en passant près du calvaire qu'ils découvrirent plusieurs corps de soldats, ce qui fait penser que la bataille a été rude.

 

Le champagne au château

Au moment de l'affrontement entre les allemands et les américains, les troupes dévalisèrent la cave du château. Avec leur butin, les soldats américains se rendirent chez le châtelain de Castilly (près de Lison), et tout en lui offrant de trinquer avec eux, il leur demanda la provenance de ces boissons (champagne, vieux calva). Le plus simplement du monde, ils annoncèrent à leur hôte, M.Octave de KERGOLAY (qui n'était autre que le cousin de M.Thibault de KERGOLAY), que ce champagne venait de Canisy.

(témoignage de Mlle de KERGOLAY)

 

L'APRES-GUERRE

Monsieur Ferdinand LEPLATOIS, Maire de Canisy de 1947 à 1959, a fait un état des aides apportées lors des combats, de l'importance des dégâts et d'une statistique sur l'ensemble des destructions.

 

1 – Importance et durée des combats sur le territoire communal :

  • bombardement du quartier de la gare (où se trouvait un train) et des routes pendant 3 jours (6,7 et 8 juin), causant 7 morts et 4 blessés graves appartenant à des convois de civils de passage (organisation Todt)

  • bombardement de Canisy à partir du 20 juillet et tous les jours suivants

  • combats de libération et incendie du bourg les 26 et 27 juillet

 

2 – Circonstances particulières soulignant les dangers courus et le courage des habitants

  • Dès le 7 juin, installation au couvent des sœurs d'une clinique et d'un hôpital provisoires, pour opérer et soigner les blessés. Installation avec les seuls moyens de Canisy (Dr NEGRIE, Dr vétérinaire, M.LECLUZE, les religieuses, Melle de KERGOLAY, Me LE JEUNE, Notaire, etc...)

  • Vers le 20 juin, les autorités de Canisy ont aidé au placement à Canisy et Quibou d'une grande partie du personnel et des malades du Bon Sauveur.

  • Plus tard est arrivé un poste de la Croix Rouge (avec médecins et infirmières)

  • Vers le 4 juillet, installation d'un centre d'accueil avec le concours spontané de volontaires au Notariat, chez Me LE JEUNE. Plus de 3000 repas gratuits ont été servis aux réfugiés et évacués de passage.

  • Les autorités restées à Canisy ont installé des camps dans les écoles et au village de la Vannerie pour accueillir, coucher et nourrir les réfugiés de passage en retour d'exode et renvoyés par les américains.

 

Dommages subis par la commune au moment des combats

  1. Nombre de victimes civiles (tuées) : 5

  2. Nombre de blessés graves : 7

  3. Nombre de bâtiments publics, de fermes, d'habitations sinistrées totalement

a. bâtiment public : 1

b. fermes : 2

c. habitations dans le bourg : 26

d. bâtiments d'exploitation : 60

  1. Nombre de bâtiments publics, de fermes, d'habitations sinistrés partiellement à 25% au moins

a. bâtiments publics : 5

b. fermes : 8

c. habitations et bâtiments d'exploitation : 87

  1. Pourcentage de sinistrés totaux et partiels par rapport à l'ensemble des immeubles de la Commune

a. dans la bourgade : 70% (en comptant pour 1 les immeubles sinistrés totalement, en comptant pou ½ les immeubles sinistrés partiellement)

b. dans toute la commune : 36%

 

 

CANISY

Personnes tuées lors des combats de 1944

 

Le 7 juin vers 9 h au village de Pierrelaye :

  • PROKAPIUNK Paul, 21 ans, de nationalité allemande, employé à l'organisation Todt, firme Bauer Walser

  • un inconnu âgé d'environ 25 ans

  • une inconnue, âgée de 40 ans environ, de nationalité française

  • OESWEN Hilde, âgée de 22 ans, employée à l'organisation Todt.

  • Un inconnu, âgé de 35 ans environ, de nationalité hollandaise, employé à l'organisation Todt.

  • DEGNER Paul, âgé de 35 ans, de nationalité allemande

  • ZOBELEY Mickaël, âgé de 37 ans, de nationalité allemande

 

Le 6 juillet vers 16h au village du Montmireil :

WILLEMIN Hubert, étudiant, 21 ans, né à paris, décédé dans l'ambulance

 

Le 12 juillet à 1 heure au château :

DUHAME Jean, âgé de 44 ans, maraîcher, domicilié à Carentan

 

Le 14 juillet à 20 heures au village de la Hardonnière :

MARIETTE René, âgé de 38 ans, domicilié à la Chapelle-Enjuger

 

Le 20 juillet à 2 heures au village de la Mesleraye :

COUPPEY Louis, 24 ans, domicilié à Cherbourg

 

Le 21 juillet à 6 heures :

GIRES Marie-Louise, bas du bourg, face à son domicile, âgée de 60 ans

 

Le 24 juillet à 1 heure :

DIRINI Yvonne, 14 ans, est décédée au bourg. Domestique chez M.LOUET, percepteur

 

Le 26 juillet à 17 heures au bourg :

SALLE André, juge de paix, est décédé au bourg (il jouait de l'orgue dans le beffroi)

 

 

l'état du département de la Manche après la bataille

Bilan des pertes et dégâts

Le département de la Manche a été le plus meurtri de toute la Normandie :

316 églises ont souffert : 68 totalement détruites, 157 gravement endommagées, 91 plus légèrement atteintes.

Toutes les villes et gros bourgs sont transformés en gros tas de pierre.

Sur 438000 habitants, il y a eu environ 15000 morts et 200000 à 300000 sinistrés.

617 communes sinistrées dont 101 à plus de 50% et plus de 100000 immeubles détruits.

1/3 du cheptel tué : 11000 chevaux et 105000 bovins, et le reste du bétail est sans fourrage pour l'hiver.

500000 pommiers morts et 200000 décapités.

110000 hectares de terrains rendus inutilisables dont 40000 minés. Presque toutes les exploitations agricoles ont subi d'importants dégâts.

Le réseau ferroviaire de la Manche utilisé en grande partie par l'armée allemande a été en partie détruit. Il faudra attendre l'année 1945 pour voir circuler un train pouvant relier la Manche à Paris. Le nombre de véhicules automobiles étant encore très réduit, cette crise du transport isolera le département encore pendant de très longs mois. Les matières premières pour reconstruire manquent : ardoises, ciment, verre, charbon pour se chauffer, vêtements pour se couvrir, et les habitants ont manqué pendant plusieurs semaines de farine.

L'hiver a été très dur avec la neige, la situation des habitants de la Manche a été encore plus tragique que celle du Calvados : le département de la Manche étant le plus meurtri de la Normandie.

Beaucoup de sinistrés sont revenus loger dans les débris de leurs maisons et de leurs fermes, dans les caves ou les étables. La vie administrative s'est réorganisée lentement et les enfants des écoles ont du soit être admis dans des bâtiments de fortune, voire même dans une étable, soit attendre la réparation sommaire de leur école.

(éditions HEIMDAL)

Lectures par Aimée Mitrail, Bernadette et Mathis en août 2011
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