Témoignage de Auguste Hervieu, Moyon (50)

Le début de la guerre

Quand la nouvelle de la déclaration de guerre est arrivée le 2 septembre 1939, tous les murs étaient remplis d'affiches annonçant la mobilisation générale. Dès le soir du 2 septembre, je vois encore mon père, âgé de 37 ans, et qui normalement n'aurait pas du partir vu qu'il avait trois enfants. Mais à ce moment là, il était très difficile de faire établir des livrets militaires en ordre, je crois que c'était le cas pour lui, et d'autres aussi.

Si bien que ce jour-là, au soir, il a fallu se rendre à Percy pour prendre en charge, avec ceux du même régiment de cavalerie, je ne sais combien de chevaux, car tous ceux qui avaient des chevaux entre trois et six ans devaient les conduire à Percy pour les regrouper.

De là, les mobilisables les prenaient pour les conduire à Caen. Il avait été trois jours parti, et pendant ce temps là, tous les hommes entre 20 et 35 ans avaient dû rejoindre leur régiment dès le lendemain.

 

Mon père appelé en renfort

L'hiver a passé. Quand est arrivé le mois de mars, du fait que le conflit devenait de plus en plus grave, et que de nombreux soldats étaient morts, il fallait les remplacer, si bien que tous ceux qui n'étaient pas partis en septembre furent appelés sous les drapeaux au début de mars 1940, et c'est là que mon père est parti.

Pendant 4 mois, on a reçu très peu de nouvelles de lui car les soldats n'avaient pas le droit d'écrire comme ils l'auraient voulu. Les courriers étaient contrôlés ou censurés.

Le 9 juin 1940, j'ai fait ma communion solennelle. J'étais seul avec ma mère, mon frère, ma soeur et ma marraine, car le parrain était lui aussi à l'armée.

Dans une lettre qu'il avait réussi à nous faire parvenir peu de temps après son départ, mon père nous disait que ce jour-là avait été pour lui un jour de cafard pour la bonne raison qu'il avait eu la bretelle de son fusil coupée à trois endroits et que le courrier n'était pas souvent distribué aux soldats. Le soir même, on lui avait apporté trois lettres de maman, car elle écrivait toutes les semaines, même si le courrier n'était pas distribué.

Le soir du 9 juin, après les vêpres, le ciel est devenu tout noir. On a su après que c'était les réserves de pétrole du havre et de Rouen, car l'ennemi avançant à grands pas, les pétroliers avaient mis le feu aux réserves afin qu'elles ne tombent pas en mains allemandes.

Les premiers jours de juin, on vit arriver des réfugiés qui venaient du Nord et du pas de Calais. C'était les plus riches et ils venaient en automobile, alors que des milliers étaient à pied sur les routes. Quand les Allemands sont arrivés partout, ils sont repartis dans leur région.

 

La vie avec les allemands

Poursuivant leur avance, les Allemands arrivèrent à Saint-Lô le 18 juin, jour où le général De gaulle, qui avait rejoint l'Angleterre avec ce sui restait de l'armée française, avait lancé un appel au peuple français afin d'aller le rejoindre, ce que beaucoup ont fait, en attendant que la résistance s'organise.

 

L'arrivée des Allemands à Moyon

Ils sont arrivés au bourg de Moyon le 21 ou 22 juin. Un petit détachement avait installé son PC au château de Moyon et dans quelques maisons du bourg.

Lecture début de la guerre (Evelyne Lesénéchal)
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Le devenir des soldats mobilisés

La vie a continué. Les soldats qui étaient mobilisés se sont trouvés tous prisonniers. La plupart a été envoyé en Allemagne, soit dans les camps, soit travailler en usine, quelques-uns sont allés travailler dans les fermes pour remplacer les Allemands qui, eux aussi, étaient mobilisés.

Au début certains étaient obligés d'aller travailler dans des fermes françaises. Ce fut le cas de mon père qui était dans une ferme de la Marne. De là, on avait l'avantage de pouvoir correspondre avec lui, par l'intermédiaire de M.Parjouet à qui on adressait directement le courrier et idem pour mon père, il servait de poste restante. Cela a duré quelques mois.

Parmi les travailleurs forcés, il arrivait que certains prennent la clé des champs en s'évadant. C'était mauvais pour ceux qui restaient car ils prenaient des otages, si bien qu'au fil du temps, tout le monde fut envoyé en Allemagne. Quelques une, dans les plus âgés, ont eu la chance d'être renvoyés dans leur foyer à partir du début 1941.

La mort de M.Hervieu

Pour nous, on n'a pas eu cette chance car au mois d'avril 1941, mon père était allé faire du travail dans les champs avec des chevaux. C'est en revenant, le soir, qu'il est tombé et a passé sous les roues d'une voiture à quatre roues, remplie de pommes de terre. Ceux qui étaient avec lui n'ont rien pu faire, la mort était passée. Ses camarades l'ont enterré dans le cimetière à Luteck, en Allemagne. la fille du fermier, malgré les risques, avait réussi à faire une photo de la tombe, qu'elle avait remise à ses copains qui nous l'ont remise au retour.

Nous l'avons su un mois et demi après, par une lettre d'un copain qui avait mis un message en abrégé, afin de ne pas se faire prendre. Les services officiels nous ont adressé la nouvelle par la mairie deux mois après. Ce n'est qu'en 1949 que la dépouille a été remise à la famille, soit 4 ans après la fin de la guerre et 8 ans après son décès. C'est effectivement en 1949 que la majorité des morts de guerre fut remise à leurs familles. De grandioses cérémonies – mais cela ne redonnait pas la vie- étaient organisées quand les prisonniers rentraient, aussi bien pendant la guerre qu'à la fin, en 1945.

Lorsque ceux qui avaient passé au travers rentraient, ils venaient nous rendre visite, ce qui des fois remontait le moral, quand ce n'était pas l'inverse.

Chez nous, le jour où l'on a eu l'annonce officielle du décès, il y avait une lettre écrite en allemand qui nous a permis de nous libérer des réquisitions du cheval. Car le récit de l'accident de mon père était très détaillé. Maman a eu ensuite à faire établir une rente de veuve de guerre, qui n'allait pas très loin, surtout au début.

Pour nous les trois enfants, on avait une carte de pupille de la nation, qui ne nous a rien donné car on n'a pas su en profiter. Si on avait fait des études, tout aurait été payé. J'aurais bien voulu faire un métier, charpentier surtout, mais je me souvenais du message que papa m'avait donné en partant : « si je ne reviens pas de la guerre, tu resteras à aider ta mère, car je ne suis pas sûr de revenir », ce qui arriva. Il avait un très mauvais moral.

 

Le devenir des soldats mobilisés (lecture d'Evelyne Lesénéchal)
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L'armée faisait son pain, un pain noir et dur comme de la pierre, alors que les mobilisés qui le faisaient venaient des pays de l'Est et pour eux, il était blanc. Parfois, ils nous en donnaient, en échange de lait, et les chefs mangeaient le noir.

Dans les années 40-41, ordre avait été donné de déposer en mairie tous les fusils de chasse et armes. Moi, j'avais enterré celui de mon père. De même, il fallait déposer les postes TSF : il n'y en avait pas beaucoup qui en possédaient, et encore moins avaient été les déposer.

Il y avait aussi un ordre de la felkommandatur. Les parents devaient aller creuser et recouvrir des tranchées autour des écoles, et ce en cas de bombardement. Presque toutes les maisons avaient aussi les leurs.

On était à l'heure allemande : le couvre feu était à 21h et il ne fallait pas trainer le soir : de plus, ils exigeaient que l'on soit poli.

Le facteur, le père Lesauvage, a été ramassé et a couché un soir en tôle pour ce sujet. Il faut dire que ceux qui avaient fait la guerre de 14 n'avaient pas oublié et avaient du mal à supporter l'occupation.

De chaque côté du bourg de Moyon, les allemands avaient planté, en butoir, des troncs d'arbres afin de faire des barrages et des barricades. Elles n'ont jamais servi. Une famille qui avait refusé de partir, se croyant plus en sécurité que sur les routes, a vu la jambe de leur fille coupée par un éclat le 24 juillet 1944. un soldat américain l'avait sauvée en la portant à l'infirmerie et en repartant à son poste, il a été tué et enterré sur place. Plusieurs ont aussi été enterrés avec lui.

 

 

 

 

 

Lecture par Anne-Sophie Hardel
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Les cartes de rationnement

Les premières cartes de rationnement sont apparues le 1er août 1940. Elles étaient attribuées en fonction de l'âge, du sexe, du travail de force. Chaque achat nécessitait un ticket.

Les cartes d'alimentation étaient réparties en catégories d'âge :

les enfants de moins de 3 ans : Catégorie E

les enfants de 3 à 6 ans : Catégorie J1

les enfants de 6 à 12 ans : catégorie J2

les enfants de 12 à 21 ans : catégorie J3

les adultes de 22 à 70 ans : catégorie A

les adultes au-delà de 70 ans : catégorie V

 

Les aliments rationnés

La carte d'alimentation donnait droit à :

240g de pain par jour

250g de viande par semaine

75g de fromage par semaine

3 litres de vin par mois

500g de sucre par mois

200g de riz par mois

250g de pâtes par mois

550g de matière grasse par mois

 

Mais surtout on avait la carte de pain, de sucre, chocolat ou vêtements et viande. En 1941, on a eu la nouvelle du décès de mon père en Allemagne. Là on a eu le droit à une distribution supplémentaire pour s'habiller.

Lecture cartes de rationnement (Evelyne Lesénéchal)
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PIGEONS

Avant la guerre, il y avait des pigeons de tric dans les fermes. La première chose que les Allemands ont fait en arrivant chez nous, c'est de tuer tous les pigeons en criblant de balles les gouttières. Ils avaient peur des pigeons voyageurs, car il y en avait, surtout en 1944, qui étaient lancés avec un petit parachute, une réserve de maïs et si on les trouvait, il fallait remplir le message qu'il avait à la bague. Ils demandaient des renseignements sur les positions allemandes. Il fallait les lâcher vers 10 heures du soir, en les laissant s'orienter sur une fenêtre au nord, mais jamais laisser de traces ni de noms. Même la cage était brûlée, et surtout cacher le parachute. Plus tard, des personnes en ont fait des tabliers.

Loisirs

Dans les années 41 ou 42, je ne sais à l'occasion de quelle fête, les Allemands qui étaient au château étaient tous déguisés, genre carnaval, si bien que musique en tête, ils faisaient la fête et avaient même tué un boeuf qu'ils ont rôti en tournebroche dans le milieu du parc du château.

 

 

Entre 1939 et 1946-1947, il n'y avait pas de fête. Vu les événements, tout était interdit, même à la jeunesse. On jouait au « bouchon ». On ne connaissait pas la pétanque. Les veillées étaient courtes, il n'y avait pas la permission non plus d'avoir de la lumière le soir, bien que ce ne soit que des bougies. Au travail, il fallait aussi enlever le gui sur les pommiers, qui étaient bien plus nombreux que de nos jours, 15 à 20% de la surface de la ferme. Et ceux qui ne l'enlevaient pas avaient un procès, de même pour les chardons.

Lecture (loisirs) par Anne-Sophie Hardel
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La guerre côté combats

La guerre suivait son cour, avec des hauts et des bas. Toutes les nouvelles qui venaient du front étaient bonnes. Jamais il ne venait jusqu'à nous de mauvaises nouvelles. Les Français tenaient toujours face aux Allemands. Il arrivait assez souvent des nouvelles qu'un soldat était mort ou blessé, on ne savait rien de plus, il fallait subir ! De nombreux soldats ont eu les pieds, les mains et les oreilles gelés, car l'hiver avait été terrible, de même d'ailleurs que l'hiver 40-41 où la température descendait parfois à – 20°, et où il était tombé beaucoup de neige. Les militaires en ont souffert, mais également ceux et celles qui étaient restés au pays, car très souvent les femmes étaient restées seules avec les enfants. Dans ce temps là il n'y avait pas de bottes, même pas de veste de pluie, et tout le monde marchait avec des sabots de bois qui, bien souvent, faisaient mal aux pieds. Beaucoup marchaient pieds nus, sans chaussettes, simplement une poignée de paille dans les sabots, sans compter les chevilles qui bien souvent étaient entaillées en marchant et cognant les pieds côte à côte, ce qui faisait très mal.

Lecture par Evelyne Lesénéchal
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Le débarquement à Moyon

Les années 42-43 allaient en se dégradant du fait de la résistance. Les attentats devenaient assez fréquents, surtout sur la côte. Les allemands devenant plus agressifs, beaucoup de Français ont été déportés en Allemagne, ou même fusillés. C'est à partir de 1943 que les bombardements et mitrailles se sont multipliés, tuant aussi beaucoup de civils.

1944 est arrivé, avec bien des soucis. Les Allemands, à partir de mars-avril, sont arrivés partout, faisant des rafles. Certains civils étaient pris en otage même s'ils n'avaient rien fait. Il suffisait d'être dénoncé comme collaborateur, car il y en avait beaucoup, ce qui a donné lieu à de nombreux règlements quand la guerre fut finie. Là aussi, certains sont passés par les armes.

Au mois de mai, à nuit entière, les forteresses passaient par groupe de 24 et sans interruption. Le ciel était tapissé d'avions qui allaient lancer leurs bombes sur la Bretagne, la Loire et même sur l'Allemagne. Nous étions sur leurs lignes de passage en venant d'Angleterre. Arrivés plus bas, ils changeaient de direction.

Il était bien à prévoir que quelque chose se préparait, mais on ne savait rien. Depuis le début de 1944, les avions qui passaient au-dessus de nos têtes jetaient parfois, de jour comme de nuit, des petits bandeaux de papier aluminium, mais très fins et de différentes largeurs, allant de 1mm à 2cm de largeur et 20cm de longueur. On trouvait cela le matin, et par des journées ensoleillées, c'était joli de voir ces papiers qui brillaient au soleil. Ils tombaient parfois serrés, parfois clairsemés. On s'est souvent interrogés sur le pourquoi de ces bandelettes qui brillaient : certains disaient que le débarquement était proche, tous les pronostics étaient permis.

On trouvait aussi des livres de propagande contre les Allemands, et même des chansons de la résistance. Quant aux bandelettes, on a su bien après le débarquement que c'était pour brouiller les radars allemands.

Par contre, le matin du 6 juin, on trouvait des tracts entourés de noir, nous annonçant que les armées alliées débarquaient, et qu'il ne fallait pas sortir. Plus on avançait, plus les bandes étaient étroites.

Le 6 juin au soir, les avions se sont arrêtés sur Saint-Lô, Coutances, Vire, Caen et bien d'autres. En une nuit, toutes ces villes ont été anéanties, et toute la nuit, on entendait des bombes, mais aussi le canon des bateaux du débarquement. Pendant deux jours, sans arrêt, les planeurs sont arrivés sur la région de Carentan, Sainte-Mère Eglise et aussi la vallée de l'orne, dans le Calvados, avec dix mille parachutistes. Beaucoup furent tués en tombant, des centaines ont été enlisés dans les marais et n'en sont jamais ressortis.

Pour nous, la première bombe qui est tombée à Moyon (le 6 juin) est tombée sur une maison appartenant à mes grands-parents (Georges Vastel locataire), et dont on est devenu propriétaire après le partage des grands-parents. Ce n'était plus une maison, mais des ruines (elle a été reconstruite quatre ans après).

Ce n'était pas la maison qui était visée, mais la route de St-Lô-Villedieu, que les avions voulaient couper, ce qu'ils ne se privaient pas de faire. A chaque fois, les allemands réquisitionnaient tous les hommes valides aux alentours pour reboucher les trous la nuit venue, afin que leurs convois puissent à nouveau passer .

Quand la maison a été soufflée, elle était jumelée avec une autre. Il était tombé une bombe devant, coupant la route, et une derrière, dans un champ de pommiers. Un pommier s'est envolé sur cette maison et a écrasé les deux toitures et le plancher.

La grand-mère (mère Levilly) était assise à sa table et quand elle a vu le pommier arriver, elle s'est écriée en sortant de sa maison : « et bien, ils en ont fait du propre ! » Il y avait une dame dans chaque maison, (Mère Levilly et Jeanne Jouanne) mais pas de blessée

Le débarquement à Moyon (lecture par Evelyne Lesénéchal)
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Quand les Américains ramassaient des blessés civils, ils les envoyaient dans les hôpitaux, à l'arrière, bien souvent à Cherbourg, si bien qu'ils revenaient un mois après, même plus pour certains, et pendant ce temps, les familles qui étaient restées sur place n'avaient aucune nouvelle de leurs blessés. Ce fut le cas pour plusieurs familles de Chevry, tout comme celles de Moyon et bien d'autres.

Un jour, je pense vers le début juillet, le midi à l'heure de manger, sont apparus sur notre tête deux avions, un Allemand et un américain. Le spectacle ne dura pas bien longtemps mais les mitrailleuses crépitaient. Cela se passait au Sud de chez nous, entre Chevry et le Bois de Moyon, cela faisait relativement près de chez nous. Au bout de quelques minutes, un des avions a pris feu. Le pilote a sauté en parachute et, poussé par le vent, est tombé en bordure de Tessy. L'avion a piqué sur Chevry, rasant la maison de ma belle-mère, ou du moins celle qui l'est devenue quinze ans après, alors qu'elle était en train de faire de la galette pour nourrir ses filles, ainsi que plusieurs réfugiés qu'elle hébergeait. Quand l'avion est tombé, je regardais la bagarre, ainsi que des soldats allemands qui étaient chez nous, et quand ils ont vu l'avion tomber, ils frappaient dans leurs mains.

Mais le lendemain, on a appris que c'était l'avion allemand qui était tombé, eux qui criaient « Tommy kapout » la première journée étaient rabattus, je leur dis « hier, avion, pas Tommy ». En baissant la tête, ils m'ont répondu « oh non, camarade. »

la première chose que les allemands qui étaient cantonnés auprès ont fait, c'était de mettre les vaches qui étaient au piquet près de l'avion plus loin, car les munitions ont brûlé une partie de la journée.

Et c'est tout près de là, à 500 mètres, lors du passage de la bataille à la Fontaine Meuger, village limite entre Chevry et Tessy, que deux chars venant l'un du Nord, l'autre de l'Est, se sont tirés dessus et sont restés sur place tous les deux.

Lecture par Evelyne Lesénéchal
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A Beaucoudray, il y a eu beaucoup de bombardements et plusieurs maisons ont été brûlées, surtout au Buron, sur la route Tessy-Villebaudon.

Dans l'une d'elles habitait une dame qui avait chez elle quatre enfants de l'hospice, qu'elle élevait comme cela arrivait souvent dans ce temps-là (aujourd'hui, on dirait enfants de la DDASS). Si bien que la dame fut tuée par une bombe qui avait fait tomber la maison. Elle avait la tête écrasée sous une poutre et les enfants, pour la dégager, tiraient sur ses jambes mais n'ont rien pu faire. Ils sont partis à travers champs et en deux jours, se sont nourris avec seulement des grains de blé, puis sont partis à l'aventure sur Chevry. Ils ont été recueillis par Alphonsine Amiot, qui elle aussi avait son mari en Allemagne, mais ne pouvant nourrir les quatre, s'est arrangée avec deux autres personnes, dont Lucie Touroude et Jeanne Simon, pour les nourrir jusqu'à la fin de la guerre. Avec les élèves de Chevry, ils ont repris l'école en septembre, sont restés un moment jusqu'au jour où leur mère est venue les rechercher. On a eu l'occasion de les revoir à une réunion des anciens élèves de l'école en 1995, soit 50 ans après et ils étaient heureux. Ils vivent dans la région de Caen. C'étaient quatre enfants Houssin, dont une fille.

Une autre maison, la famille Anne, a été démolie et brûlée. La voiture était prête à partir, le cheval attelé, rentré dans la remise, mais les bombes ayant tué les parents, personne ne pouvait libérer le cheval qui ne s'est trouvé libéré que quand les bras de la voiture ont été brûlés avec la voiture et son chargement. Seuls un ou deux enfants ont été épargnés, mais blessés.

C'est là aussi que plusieurs moyonnais, qui avaient fait un arrêt dans une ferme avant d'aller plus loin, furent pris à parti par l'aviation. Parmi ceux-ci, il y avait Charles Le Tousey et sa famille, plusieurs autres personnes, ainsi que des gens de Troisgots qui s'étaient joints à eux avec deux vaches. Mais au moment de l'attaque, tout le monde s'est couché dans les talus. Les vaches ont été tuées et dans leurs chutes, ont failli écraser Charles qui était couché dans la rigole. Il y a eu seulement quelques blessés, dont sa mère.

Sur Chevry, un Allemand qui voulait sauver sa vie s'est caché sous un tonneau et y est resté jusqu'à ce qu'un américain lance une grenade pour le faire sortir, car un civil les avait prévenu qu'il était là. Il était heureux de lever les bras. La veille, ce civil, M.Potey, avait reçu un obus fusant dans la chambre où sa femme avait eu la naissance d'un garçon. Le feu ayant pris au lit, il arrêta le feu et descendit sa femme avec le nouveau né dans une tranchée, où ils ont passé la nuit.

Trois ou quatre familles de Chevry étaient aussi parties à l'aventure, devant la bataille, dont une femme qui a été tuée à Mortain.

 

Le jour du débarquement, M.Daireaux, de Tessy, est allé à Coutances chercher sa fille au collège, et sur Chevry, un avion les a mitraillés, tuant sa fille. De même à Beaucoudray, la fille de M.Lecocq de Saint-Georges-MOntcoq, qui faisait la poste, a été prise sous la mitraille et tuée également.

Les derniers jours de juillet, la route venant du Mesnil Herman et allant sur Chevry était un lieu de passage pendant une dizaine de jours, surtout la nuit pour les camions et ambulances qui portaient les blessés à Chevry, où la locataire du presbytère avait été mie à la porte. Les Allemands en avaient fait un hôpital. Une des filles de M.Noël (maire à l'époque), qui avait quelques notions médicales, a été réquisitionnée de force par les Allemands comme infirmière pour donner à boire aux blessés allemands ou américains et aider à les soigner. Les plus graves étaient évacués sur Beuvrigny, au château, où des civils avaient été enrôlés de force, aux aussi, pour enterrer les morts.

A Beuvrigny, 400 furent enterrés côte à côte, sans cercueil. Plus tard ils ont été transférés à Marigny ou Colleville.

Lecture (Evelyne Lesénéchal)
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Avec les américains, on a été comblés de gâteaux et toutes sortes de friandise, dont on n'était pas habitués, et même cigarettes, sans compter le fameux chewing-gum, ce qui était nouveau pour tout le monde.

Quant aux paquets de biscuits des soldats, les 44 que l'on était en ont mangé tous les matins au déjeuner jusqu'à la fin du voyage, et il en restait encore à l'arrivée.

Lecture (par Evelyne Lesénéchal)
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L'exode

C'est surtout après la terrible nuit où Saint-Lô, à 15 kilomètres, a été bombardé que les choses sont devenues plus graves.

Car le 6 juin au soir, quand les bombes sont tombées, Saint-Lô a brûlé pendant plusieurs jours. Le vent étant Nord/Nord-Ouest, tous les papiers de la ville en feu venaient avec la fumée, aussi bien de la préfecture que de tous les bureaux, même les cartes de pain et tickets de toutes sortes qui étaient réduits en cendre tombaient, tapissant le ciel...On voyait encore les chiffres, mais c'était de la cendre. C'est la force du feu qui les envoyait avec la fumée. Il fallait penser à ceux qui, dessous, ont vécu la peur et la mort sous les bombes de Saint-Lô. Nous étions informés de ces faits par les réfugiés qui passaient avec leurs ballots ou leurs brouettes.

Il y avait aussi des gars, pas très bien habillés, qui passaient et demandaient à boire et à manger. Certains ont été repris par les Allemands, certainement dénoncés. On a su plus tard que c'étaient des espions, qui étaient à l'arrière des lignes allemandes, pour donner des renseignements. Ils faisaient un peu peur. Dès qu'ils ont pu s'évader, ils sont partis à l'arrière. Ils avaient travaillé de force à faire des blockaus sur le port de Cherbourg. Les travaux ont été très longs, mais il arrivait souvent, lorsqu'ils étaient moins surveillés, que les brouettes de ciment, au lieu de les mettre dans les coffrages, aillent dans le mer !

A entendre les réfugiés, on savait bien que cela n'allait pas durer longtemps, dès que les troupes pourraient avancer, il faudrait bien se préparer à partir nous aussi.

Il n'y avait pas de jours sans que l'on voie passer des réfugiés, aussi bien de Saint-Lô que des alentours.

Quand ils passaient, ils nous donnaient des nouvelles de plus en plus mauvaises, et les Allemands devenaient de plus en plus agressifs au fur et à mesure que le front approchait.

A partir du 15 juin, on en avait chez nous, dans les appartements de la ferme, et nous étions tous logés à la même enseigne, ainsi que tous les vieux chemins d'alentours, une bonne centaine d'Allemands avec les Mongols, des Russes et autres.

 

 

 

Un mois et demi est quand même passé, mais ce n'était pas toujours rose, car les avions ne nous laissaient pas de répit ; à peu près tous les jours, ils mitraillaient ou bombardaient.

C'est le 24 juillet 1944, dans la matinée, que fut donné l'ordre à toute la commune de Moyon de partir. Sur l'ordre de l'Etat Major allemand, tout le monde devait avoir quitté les lieux avant quatre heures, soit 48 jours après le débarquement des alliés sur nos côtes normandes . C'est la garde-champêtre qui passait pour avertir.

 

Les Moyonnais de notre convoi de réfugiés

Casimir Renouf

Ferdinand et Louise Delafosse

Blanche Hervieu et ses enfants Auguste, Thérèse et Louis

Georges et Marie-Louise Delafosse et leurs enfants ; Fernand, André, Georges

Alphonse et Augustine Mauviel et leurs enfants Eugène, Marie-Thérèse, Roger, Christiane et bernadette

Louis et Marie-Louise Lechevalier et leur enfant Casimir.

Maria Mauviel, Elisabeth, Fernande, Georgette et Eugène Renouf

Pierre et Marguerite Lefoulon, Charles, René Legoupil

Désiré et Maria Ledouit, Simonne, Yvette

Julia Dufour

Louise et Louis Legrand, Mère André

3 servantes : Antoinette Gautier, Madeleine Harivel et Madeleine Valette

 

+4 personnes (famille Jean Pignet) restées à Percy la 2ème journée.

Les allemands étaient contraints à faire marche arrière, on était partout envahis par les soldats, dont la plupart des SS.

Du fait que mon père était mort par accident en Allemagne, étant prisonnier en 1941, nous avons réussi à sauver notre cheval des réquisitions qui avaient lieu souvent, à un mois et demi ou deux mois d'intervalle, aussi bien pour les chevaux que pour les bestiaux, et même les pommes de terre. Les maires n'avaient pas la bonne place, car ils devaient prévoir les réquisitions de chevaux, vaches, veaux...demandées par les Allemands et même, quand il le fallait, désigner des jeunes à partir pour le travail obligatoire. Certains, avec de faux papiers, ont réussi à passer à côté.

En fin de matinée, nous sommes allés voir les voisins pour savoir à quoi s'en tenir, mais tout le monde, sans exception, était sur le départ.

 

Des nouvelles troupes étaient arrivées dans la matinée et s'étaient installées autour de la table à boire tout ce qu'ils avaient sous la main. On a donc empli la carriole sous le regard des soldats, de choses pouvant servir, draps, linges et habits, beurre dont on ne pouvait rien faire, lard, œufs, mais les frigidaires n'existaient pas donc le tout ne pouvait pas dépasser deux jours, sur les routes en plein mois de juillet. Tout était enroulé dans des couvertures, à l'abri du regard des allemands qui prenaient tout.

On ne savait pas où on allait et pour combien de temps.

Trop chargés, les enfants allaient à pied.

Après avoir empli la voiture, nous avons fait un tour pour mettre les animaux en liberté : vaches, veaux, cochons (une mère avec ses petits) et même le chien.

Nous sommes donc partis, laissant tout, mais le cœur un peu serré. On n'avait pas le choix. Pour nous, il fallait partir par le Carrefour Paris – Villebaudon -Percy.

Sur la route, c'était un convoi impossible à compter, tellement la route était encombrée de carrioles, tombereaux, vaches, car les cultivateurs avaient emmené une vache ou deux afin d'avoir du lait au cas où on n'aurait rien à manger, ce qui nous a bien souvent aidé à survivre car dans les convois, il y en avait qui n'avaient rien d'autre que leur brouette, quand elle n'était pas occupée par une personne âgée, infirme, malade ou blessée.

Nous avions même emmené un chariot à bras, au cas où il aurait fallu se séparer de la carriole. Le menuisier faisait des chariots en série, en prévision du pire.

Nous sommes allés ce soir-là jusqu'en haut de la côte de Percy, exactement en haut de la Binette, puis à droite . Une personne, ayant des amis là-bas, nous a permis de rester là.

Plusieurs personnes de la commune se sont retrouvées autour de nous, et nous étions le soir 44 à coucher dans la grange ou sous les voitures, entourés d'une trentaine de soldats qui gardaient leurs camions, ce qui n'avait rien de réjouissant, bien qu'ils soient très gentils. J'avais sous mon chariot des roues de vélos, dont une était crevée en arrivant à Percy. Nous n'avions même pas de colle pour réparer, si bien que ce sont des soldats qui ont réparé les chambres à air, et elles ont tenu tout le reste du voyage.

La nuit s'est à peu près bien passée : on ne dormait pas à poings fermés, surtout que l'on entendait le canon qui grondait sur Saint-Lô, à 15 kilomètres. Le lendemain, 25 juillet, réveil un peu dur. Pour les 15 ans dont je faisais partie, cela pouvait aller, mais on avait aussi des gens de 75-80 ans.

 

On est repartis de bonne heure, vers les 10 heures.

D’autres Moyonnais qui s’étaient joints à nous pour coucher, ayant vu leurs chariots rendre l’âme, sont restés là, pour repartir plus tard (famille Jean Pignet)

La famille qui habitait dans la maison des grands-parents, n’ayant plus de toit, a été recueillie par une famille à la Balle, en haut de Moyon. Et c’est là, à l’approche de la bataille, que la maison de leurs hôtes (Eugène Lecanuet) a, elle aussi, brûlé.

Denise Vastel gardait les mamans qui avaient eu des bébés. C’est là qu’elle était quand la maison a été bombardée. Georges et sa fille sont partis chez Juliette Haupais, dont le mari était prisonnier, et une autre fille, Georgette, employée. Etant un peu éloignés de voisins, ils n’avaient pas reçu l’ordre de partir. Deux jours plus tard, en entendant les vaches aux alentours qui « braillaient » pour être traites, ils sont allés voir, mais il n’y avait plus personne. Alors ils sont partis aussi à la Balle et de là, ont vu la maison brûler. Le garde-champêtre avait oublié quelques maisons. Pour lui, ce n’était pas un plaisir, il avait fait la commune à pied. Ils sont de nouveau partis pour Montabot. Se trouvant mal placés, vus de trop loin, ils ont obliqué sur Percy, au Montfiquet, et le lendemain, là encore, la maison a brûlé dans un vacarme insupportable, si bien que les habitants ont dû partir la maison en feu, et n’ont même pas réussi à emporter le si peu d’argent et papiers dont ils disposaient.

C’est de là que sont repartis, pour aller plus loin, ceux que l’on avait dû abandonner à Percy (Jean Pignet) parce que la grand-mère, qui faisait une phlébite, ne pouvait plus marcher et que leur chariot était resté en panne. De là aussi qu’une personne, les prenant en pitié, leur a prêté un âne qui n’avait jamais attelé mais qui leur a rendu service. Ils ont été une dizaine de jours partis vers Gavray, où cela a été plus calme. Ils ont redonné l’âne au propriétaire qui a eu de la chance car à Percy, la bataille a été très dure, si bien qu’il y a eu beaucoup de morts. Même les troupeaux ont été beaucoup détruits, parfois des fermes entières n’ont pas survécu, et ce, du 2 au 5 août.

Mais entre deux, les avions sont revenus et la maison où l’on avait couché tous ensemble fut prise sous les bombes et les obus, si bien que les habitants, ainsi que d’autres réfugiés pris sous le feu, ne pouvaient plus bouger tellement la bataille faisait rage.

La maison a été entièrement brûlée et les habitants n’ont rien pu sauver, même pas le si peu d’argent qu’ils possédaient.

Et là, on peut se demander comment il n’y a pas eu plus de morts ou de blessés.

On pense à ce père de famille qui venait de Villebaudon, car là aussi il avait fallu partir, le bourg et les carrefours étaient particulièrement dangereux. Voyant le danger, il a fait descendre ses 6 enfants sur la route et à genoux, auprès du talus, et ont récité tous ensemble un acte de contrition : la peur dépassait ce que l'on peut imaginer. Sa maison a été bombardée le lendemain. D'autres réfugiés venant de la Chapelle-Enjuger y avaient passé la nuit : il était grand temps de partir !

Nous, on est partis en début de matinée.

On avait deux personnes en vélo qui allaient en éclaireur (André Legrand et Louis Lechevalier) voir comment cela allait plus loin, puis revenaient au devant de nous.

Le bourg de Percy avait été bombardé les semaines précédentes et de nombreux civils étaient restés sous les décombres. Pas beau à voir : on voyait des pieds qui étaient restés là, sans parler des odeurs.

A Percy, beaucoup de civils ont trouvé la mort, dont les deux parents Lebouvier (parents de Pierre). Les enfants, qui étaient très jeunes, ont repris la ferme tous ensemble pour sauver ce qui restait. C'est là aussi que Mme Mesnildrey, de Troisgots, a eu un bras arraché et sa petite fille tuée sur son bras.

Nombreux sont les Moyonnais qui s'étaient arrêtés à la Colombe, dont Jean Simon et sa famille. La mère et les enfants ont été blessés : un avait un éclat près du cœur, impossible de l'enlever. Il est sorti tout seul 2 ou 3 ans plus tard. Là, il y a eu bien des morts et des blessés. Il y avait eu une attaque avant notre passage, deux camions de munitions brûlaient et le cheval d'un de nos voisins, qui ne faisait pas partie de notre équipe, était tombé sur la route avec une balle derrière l'épaule. La carriole était restée sur la route. Le frère de cette personne, habitant la Colombe, était marchand de produits vétérinaires et l'a soigné : il s'en est tiré avec le temps. Jusqu'à la traversée de Villedieu, pas de problème.

A la sortie de Villedieu, alors que le convoi de réfugiés ne cessait de s'allonger, nous avons été pris à parti par 4 avions américains qui s'en prenaient à la ligne de chemin de fer et à la gare.

Dans le convoi, des side-cars allemands se glissaient parmi nous, ainsi que 2 ou 3 voitures, les laissant sur place pour aller se blottir dans le pied du talus. Sur le côté gauche de la route, deux ambulances de la Croix Rouge Allemande descendaient vers Villedieu, avec des blessés, car le sang coulait sur la route.

 

Arrivé au passage à niveau sur la route de Chérencé, une bombe est tombée près de la première voiture du convoi, l'empêchant d'aller plus loin. Il n'y a pas eu de blessé, mais la grand-mère (mère Mauviel) qui était assise sur le devant du chartil était comme la voiture, retournée de terre et poussière, donnant un peu envie de rire pour nous les jeunes : si cela n'avait été la guerre, cela nous aurait bien amusé.

La route étant à moitié coupée, il a fallu faire demi-tour et retourner sur nos pas. Nous avons pris la route de Ste Cécile et à quelques 100m, nous sommes entrés dans un champ de pommiers, alors que les avions tournaient toujours au-dessus de nos têtes.

Comme j'étais déjà un grand, je fus désigné pour aller demander à la fermière la permission de camper sous les pommiers. C'est à peu près l'endroit où est l'abattoir de Ste Cécile à ce jour.

La dame me fit comme réponse : « moi je veux bien mais hier, les avions sont déjà venus et derrière il y a eu 18 morts ou blessés. » pas très encourageant.

Un couple de ceux qui étaient avec nous est allé à une maison toute proche de l'endroit où nous étions pour demander de l'eau. « Prenez ce que vous voulez, mais voyez la journée d'hier. ». La dame a ouvert une porte et dans une grande salle, douze cercueils étaient alignés. Plutôt froid dans le dos.

Là, on a ouvert les valises et sur toutes les voitures, on a étendu un drap blanc afin de faire voir aux avions que nous étions des civils.

Après, on a cassé la croûte car il était déjà tard, et pas gros d'appétit.

Après manger, on a repris la route, cette fois en direction de Chérence le héron, la route avait été remise en état par les Allemands.

A une dizaine de kilomètres, nos éclaireurs avaient rencontré un marchand de bestiaux, M.Artur, bien connu par chez nous, dont la maison était grande, à droite avent Chérencé, mais occupée par les Allemands et leur dit : « ils font leurs bagages et s'en vont sur Saint-Lô. Vous pouvez passer la nuit ici. »

Et de fait, quand nous sommes arrivés vers 20h, les derniers partaient et avaient même laissé de grandes marmites de soupe, nous disant que c'était pour nous, mais personne n'a voulu en manger.

Deux femmes furent désignées pour être les cuistots, nous étions toujours 44 à nourrir. Elles nous ont fait une soupe qui a fait du bien, une autre équipe a fait la vaisselle, et chacun a étalé ses matelas afin de se reposer un peu.

 

Pendant ce temps-là, nous sommes allés couper de l'herbe pour donner aux chevaux et aux vaches, mais avons été obligés de nous mettre à l'abri sous une haie car les avions sont revenus sur la gare de Villedieu et venaient tourner au-dessus de nos têtes.

Deux ou trois jours auparavant, ils avaient lancé 80 bombes dans un pré, en face, juste à côté de la route, alors qu'ils la prenaient pour cible.

Et certains disaient : « s'ils reviennent cette nuit, nous serons aux premières loges ».

La nuit a été à peu près calme, à part quelques tirs de DCA au passage des avions.

Des résistants de Villedieu avaient fait parvenir aux Anglais un message disant qu'il fallait protéger Villedieu car il n'y avait pas d'Allemands en ville, ce qui la sauva du désastre que Saint-Lô et Percy avaient connu.

Au matin du 26 juillet, nous avons repris la route.

Dans les virages après Chérencé, deux camions brûlaient : l'attaque ayant eu lieu dès le matin, nous n'avons rien vu, sauf les dégâts.

Les rations commençaient à diminuer, mais arrivés à Brécey, nous avons été reçus par les équipes qui avaient organisé un centre d'accueil à la mairie. Mêmes si tout le monde ne mangeait pas à sa faim, c'était déjà pas mal.

A Brécey, dans les écoles où était le centre d'accueil, il y avait des tableaux sur le mur où tous ceux qui étaient de passage devaient mettre leur nom, d'où ils venaient et , s'ils le savaient, l'endroit où ils devaient aller. Beaucoup ont retrouvé sur ces tableaux la trace de leur famille ou de leurs amis.

Les réfugiés ayant défilé pendant plusieurs jours, ils ne pouvaient pas nous garder, si bien qu'il a fallu reprendre la route et aller plus loin, direction Montigny, en nous invitant à s'arrêter au centre d'accueil qui pourrait nous recevoir.

Après Brécey, il y a une côte qui est très longue, on nous a dit au départ 7 kilomètres de montée. Aux trois quarts de la montée, il y a une maison à gauche, et l'on avait envie de boire un coup car il faisait chaud, les bêtes avaient soif, et nous aussi.

J'ai été demander à la dame, qui était d'ailleurs très gentille, de l'eau pour nos bêtes. Elle nous a proposé du cidre et nous a donné tout ce que l'on voulait.

Elle nous a dit aussi que son mari, qui était sabotier, était prisonnier en Allemagne. Un an après, je suis repassé par là en retournant sur le lieu de notre hébergement pour lui dire merci encore une fois. Son mari était rentré 3 mois auparavant, et tout était pour le mieux.

 

 

Et de fait, à Montigny, nous avons été bien accueillis et tout le monde a pu manger et coucher dans l'école, au moins pour ceux qui n'avaient pas de bestiaux. Mais ne pouvant nous garder avec les chevaux et vaches, et vu que d'autres réfugiés arrivaient derrière nous, nous avons été divisés dans plusieurs fermes alentours. Nous, on était sur la route du Mesnil bœufs. Le soir, les avions sont revenus de nouveau à la recherche d'on ne sait quel convoi. Alors que l'on était avec les gars de la ferme à couper du trèfle pour les chevaux, on s'est vite mis à l'abri sous la voiture, alors que les gars étaient restés à regarder les avions. C'était la première fois qu'ils voyaient les chasseurs au boulot, alors que pour nous, cela faisait deux mois que cela durait. La nuit fut à peur près calme.

Le 27 juillet, nous sommes restés à Montigny en allant manger midi et soir au centre d'accueil.

Mais le soir, les responsables nous ont prévenu qu'en raison de l'arrivée de nouveaux réfugiés, il nous faudrait partir le lendemain en direction de la Mayenne.

Le 28 juillet au matin, on a repris la route en direction de Saint-Hilaire. Ce ne fut pas toujours rose. Nous avons pris la route de Mesnil-Boeufs au premier carrefour. Nous sommes partis à gauche afin de rejoindre la grande route Brécey-Saint-Hilaire. Arrivés au petit Jésus, les choses se compliquent car nous sommes de plus en plus surveillés par les avions, si bien que deux kilomètres après, pendant un quart d'heure, sans arrêt, les avions nous ont survolé de très près.

Les ailes des quatre avions, car ils passaient toujours à quatre ensemble, rasaient le dessus des carrioles, une aile était entre la ligne électrique et la ligne téléphonique, mais aucune balle n'a été tirée. Les draps sur les voitures y étaient surement pour quelque chose.

Arrivés près de St-Hilaire, le pont qui est sur la route de Ducey-St Hilaire étant coupé, il nous a fallu passer en arrière, avant le pont de chemin de fer qui traverse la route, passer derrière une ville qui n'était que ruines, et dont l'odeur des morts ensevelis sous les décombres faisaient froid dans le dos.

Au carrefour central qui était à peine déblayé, on est passé tout droit, car on devait partir pour Goron en Mayenne et par les petites routes.

 

A la sortie de Saint-Hilaire, nous avons pris à droite, en direction de Savigny-le-Vieux, pour ne pas prendre la grande route.

A Saint-Hilaire, le prêtre venait d'être tué dans une tranchée avec 12 personnes de sa famille et l'église brûlée entièrement : les cloches étaient fondues.

Les Allemands en avaient fait un dépôt d'essence.

Sur cette route, à 4 kilomètres environ, nous avons rencontré un prêtre en vélo. C'était l'abbé Lehouix, curé de Moulines et originaire de Troisgots, tout prêt de chez nous, qui avait entendu que des réfugiés venant de Moyon s'en allaient sur la Mayenne. Avec sa bicyclette, il a fait les routes et nous a trouvés, nous conduisant au bourg de Moulines où un centre d'accueil a été mis sur pied. Nous avons mangé car on en avait besoin.

Le soir, nous avons dormi à 44 dans un grand bâtiment qui était dans le bourg. Sur ces 44 personnes, nous étions encore 20 vivants en 2001.

le samedi 29 a passé en mettant un peu d'ordre dans les bagages.

Là, à mon étonnement, j'ai retrouvé la compagnie de soldats qui était chez nous 15 jours avant, mais n'avait plus leurs chevaux et était en compagnie motorisée. Alors qu'on les regardait passer, la dame du café nous dit : « laissez-les passer », ici il y a de la résistance, il est interdit de parler aux Allemands afin de ne pas être pris pour des collabos ». On les a bien laissé partir, mais je me souvenais qu'ils nous avaient dit : « quand nous partir, madame, voiture Auguste cheval venir avec nous ».

Ma réponse avait été : « mais tu ne m'as pas regardé, faut pas y compter ».

Le dimanche 30, tout était calme et tout le monde est allé à la messe. Je me souviens encore du cantique que l'abbé avait mis à jour en attendant le retour des prisonniers : « Vierge notre espérance, étend sur nous ton bras et fais rentrer en France tous ceux qui sont là-bas ».

Le principal organisateur du centre d'accueil était un jeune de 19 ans, qui est rentré au séminaire un an après, et qui est devenu l'abbé Juin en 1951. il habitait dans sa famille, au Doué-Allan à Moulines.

Mais on ne pouvait pas rester toujours au centre et le lundi 31 juillet, nous sommes partis dans des fermes. Chacun proposait la place dont il disposait, si bien que nous avons été dirigés au Doué-Allan, alors que les autres familles étaient logées dans les environs, sur la route qui va aux Loges Marchis.

 

Mais nous étions les seuls à coucher dans un lit. Là, le travail à la ferme continue, si bien que nous avons été pendant la semaine, suivant leurs besoins, les aider à faucher le grain et le mettre en gerbe. Les 1er, 2 et 3 août, pas grand-chose que je me souvienne. Le 3, un avion de reconnaissance est passé au ras des arbres, sans trop savoir le pourquoi, au moins pour nous.

Le 4 je crois, on nous avait dit que les Américains étaient là, mais arrivés au carrefour de la grande route, il y en avait un seul, qui attendait de savoir si le passage était libre, car une batterie allemande était plus loin sur la route, et l’on entendait les obus qui sifflaient en passant au-dessus de nous.

Une personne, qui était réfugiée de Saint-Hilaire et parlait anglais, servit d’interprète, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, une nuée de soldats d’infanterie à pied descendit en pleine route. Combien ? On ne peut le dire, des centaines ? C’étaient des hommes de la 358ème compagnie du 90ème régiment qui ont fait Saint-Hilaire/Gorron à pied, soit 40kilomètres, pour aller ensuite jusque dans la Mayenne pour refaire un pont.

Quand ils ont été passés, nous sommes retournés chez nos hôtes, qui d’ailleurs étaient avec nous.

Et à notre surprise, sur la petite route, c’était tout le matériel qui passait, camions, tanks, canons, munitions, essence et matériel de toute sorte, si bien que tout le monde est allé à la cave et a distribué et versé du cidre bouché aux soldats pendant on ne sait combien de temps, au moins deux heures. Pour la première fois, on voyait le matériel américain : à part le petit mouchard qui était passé la veille, mais là il n’y avait pas d’allemands dans le secteur. C’est ce jour-là que l’on a appris que Moyon était libéré avec beaucoup de dégâts. Pour revenir au 2 ou 3 août, je me souviens qu’un soldat allemand est venu chez M.Juin avec un vélo français, qu’il avait pris par ailleurs. Laissant le vélo sur place, il est reparti avec une jument. Quelqu’un est venu lui dire où elle était. M.Juin prend le vélo et après une négociation, a réussi à revenir avec sa jument. Elle est restée à l’abri pour ne pas être vue. Je crois que ce soldat avait compris que de toute façon, les carottes étaient cuites.

 

Le samedi 5, nos deux éclaireurs sont repartis pour Moyon voir les dégâts et aux renseignements.

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Fabienne Vicenzi lors de sa lecture
Fabienne Vicenzi lors de sa lecture

Pour nous, tout était à peu près calme, à part l'après-midi, une dizaine d'avions (pipers mouchards) sont venus se ranger sous les arbres, à 800m du village où l'on était.

Aussitôt, tout le monde est parti pour les voir, même une jeune fille de notre groupe voulait faire un tour en avion (madeleine Harivel). Au même moment, ce sont dix bombardiers allemands, le plus bas qu'ils ne pouvaient pour ne pas se faire repérer, qui sont passés au-dessus de nos têtes pour aller larguer leurs bombes sur Saint-Hilaire, distant de quelques kilomètres. Nous sommes vite rentrés à la ferme, pas fiers d'être entourés de la DCA américaine qui leur tirait dessus.

Le dimanche, tout le monde à la messe, pas de problème à part le passage de quelques camions. A la messe, le prêtre nous annonce, en remerciement d'avoir passé la bataille sans morts ni blessés, que le mardi suivant, il y aurait un pèlerinage à pied à Pontmain, distant de 14 kilomètres.

On était prêts à partir, personne de notre équipe n'était allé à Pontmain, mais l'après-midi, le canon a grondé de nouveau avec la contre-attaque de Mortain.

On commençait à se poser des questions.

Le lundi 7, les camions passent à nouveau et dans l'après-midi, avec le recul, ce sont les canons et batteries américaines qui viennent se placer dans le village, autour des maisons. Il ne restait plus qu'à refaire nos bagages car les habitants, eux aussi, faisaient les leurs, et se tenaient prêts à prendre la route.

Là, on a pensé repartir chez nous, car la bataille était passée, mais au lieu de partir vers la Mayenne, on a préféré partir plutôt vers l'ouest, car vers Saint-Hilaire, ce n'était pas possible avec les soldats et le matériel qui encombraient les routes.

Et de fait, nous avons tourné le dos à la bataille, mais ceux qui nous avaient hébergé pendant une semaine se retrouvaient à la rue car ils habitaient tout près d'un carrefour et ils ont été 8 nuits à ne pas coucher chez eux car les tirs des Allemands n'étaient pas éloignés et ils tiraient un peu n'importe où. La route qui venait de Saint-Hilaire était très fréquentée par les Américains.

Si bien que le pèlerinage à pied à Pontmain eut lieu seulement quelques mois plus tard. On a fait nos adieux à la famille qui nous avait si gentiment hébergé pendant une semaine, après les avoir remerciés.

Pas un adieu, car nous les avons souvent rencontrés depuis et encore de nos jours. Les journées passées ensemble sont toujours, dans nos mémoires, agréables.

Et là on est de nouveau partis à l'aventure en prenant la route des Loges Marchis. Là je revois encore le dépôt de motos de toutes sortes, laissées par les Allemands. A 15 ans, cela passait près du cœur, et on aurait facilement laissé nos vaches, bien qu'elles aient fait toute la route avec nous, pour ramener une moto. Car il faut dire que pendant tout le parcours, c'est nous, les jeunes, qui avions la charge de conduire les vaches sur la route, les voitures étant plutôt pour les plus anciens et pour les enfants.

En suivant la route, on est passé à St-Brice de Landelles, mais à l'arrivée de la route qui va de Saint-Martin de Landelles à Louvigné, nous avons été arrêtés par les Américains car la route était à eux. Ils nous ont mis à camper dans une ferme.

Lecture (Marie-Madeleine Beaufils)
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Marie-Madeleine Beaufils lors de sa lecture
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Là on s'est aperçus que nous n'étions plus chez nous car la dame disait « avant de mettre les vaches dans le champ, de les tirer ». mais nous, avec le renfort des soldats, insistions : « les Américains nous ont dit de les mettre là, on va les laisser », et la dame de reprendre : « je ne vous dis pas de les enlever, je vous dis de les tirer, c'est-y qu'elles ne donnent pas de lait ? » Et là, tout est rentré dans l'ordre, nous avons trait les vaches, qui ne donnaient pas gros de lait à marcher sur la route. Et les Américains sont partis, nous laissant là pour dormir.

Chez nous on dit « traire » mais à 70km, on dit « tirer ».

La nuit fut très courte, partagée entre le passage des avions, les fusées lumineuses toute la nuit, ainsi que la DCA.

On y voyait comme en plein jour, surtout que la toiture en tôle avait été mitraillée de toutes parts avant notre arrivée.

On était juste sur la limite entre la Mayenne et la Manche.

Le mardi 8, on reprend la route, passé St martin de Landelles, Hamelin pour arriver à St Laurent de Terregatte. La route n'était pas facile car on passait par là où les MP (Military police) nous ordonnaient de passer.

Il est vrai que nos convois ne les intéressaient guère, vu que les leurs étaient impressionnants. Ce dont je me souviens, c'est qu'aux environs d'Hamelin, sur le côté droit de la route, bout à bout dans le fossé, étaient enterrés sous 10cm de terre soldats allemands et américaine avec leurs noms, leurs casques et leurs odeurs, car depuis trois jours, sous le soleil, ils dormaient là fin après les durs combats qui avaient eu lieu dans la région, par l'armée Patton, avant de foncer sur la Bretagne. Nous sommes tout de même parvenus jusqu'à St Laurent de Terregatte où nous avons passé une soirée formidable.

Nous sommes d'abord allés dans une ferme pour chercher du cidre, qu'ils nous avaient vendus cher !

Il y avait 700 à 800m, c'est alors qu'une jeep est arrivée avec deux soldats. Ils nous ont proposé de retourner au bourg avec eux. Nous étions trois du même âge, nous sommes montés tout heureux, mais à l'arrivée, cela n'a pas fait sourire les parents ! Cela ne posait pas de problème pour nous, tout allait bien. Le soir, nous avons fêté avec eux, car ils partaient dans la soirée.

C'était la division Leclerc, ce qui nous a permis de rencontrer un gars de chez nous, de Percy exactement, qui nous a demandé de donner de ses nouvelles à ses parents, ce qui fut fait par la suite. Il était parti en Angleterre et avait débarqué sur nos côtes. C'est ce soir-là que l'on a eu les vraies nouvelles de chez nous, car notre éclaireur avait réussi à nous rejoindre en cherchant parmi les petites routes du bas de la Manche. Il était retourné à Moulines mais nous étions partis. Tout le monde avait vu des réfugiés, mais souvent ce n'étaient pas les bons, car nous n'étions pas les seuls.

Quant au deuxième cycliste (André legrand), il n'est pas revenu, laissant sa grand-mère sur son chariot avec ses parents car étant des classes mobilisables, il s'est engagé dans l'armée Leclerc pour finir la guerre.

Nous avons ce soir-là été comblés de gâteaux et toutes sortes de friandises, dont on n'était pas habitués, et même des cigarettes, sans compter le fameux chewing-gum, ce qui était nouveau pour tout le monde.

Quant aux paquets de biscuits des soldats, les 44 que l'on était en ont mangé tous les matins au déjeuner jusqu'à la fin du voyage, et il en restait encore à l'arrivée.

A la tombée de la nuit, les soldats sont partis avec leurs tanks, camions et matériel, si bien que la route qui faisait le tour du cimetière de saint-Laurent était creusée sur 60cm de profondeur. Pour nous, c'était beau à voir, le convoi a passé pendant une heure !

Le mercredi 9 août, il a fallu rester sur place, car la route était pour l'armée Patton qui descendait sur la Bretagne et la Mayenne, Le Mans, du fait que la bataille de Mortaain avait échoué pour les Allemands.

Le jeudi 10, il a bien fallu reprendre la route, la vie de sédentaire ne pouvant pas durer.

Nous sommes donc repartis en direction de Ducey, saint Quentin sur le Homme, Saint-Senier-sous-Avranches et Ponts-sous-Avranches. Là, les choses se compliquent car pour passer la Sélune, les ponts étaient démolis.

Les Américains avaient fait deux ponts, un pour eux, l'autre plus simple et c'est celui-là qu'il fallait prendre. L'un comme l'autre étaient faits sans rambarde. Le petit n'était pas très large et avec chevaux et vaches, ce n'était pas très rigolo. Les animaux avaient peur et les gens aussi. Les planches dansaient sous les pieds. Arrivés à la route de Villedieu, on nous a envoyé en direction d'Avranches car il y avait un centre d'accueil.

Presque arrivés sur place, quelqu'un nous a averti de ne pas aller plus loin car le centre n'avait plus rien à donner, donc était fermé.

Après environ deux kilomètres, on est revenu sur nos pas pour remonter sur Villedieu. Là, dans un champ très grand, il y avait une fête foraine pour l'armée, avec musique à tour de bras, manèges d'auto-tamponneuses, pousse-pousse, chevaux de bois et autres.

Cela nous aurait intéressé d'aller voir de plus près, surtout pour les jeunes, mais il fallait retourner sur nos pas et trouver à manger.

Du fait des camions qui passaient sans arrêt, ce n'était pas facile.

Nous avons été obligés de prendre une petite route qui nous conduisait vers Plomb et là, dans une ferme, on a campé afin de reprendre des forces, car la faim commençait à se faire sentir. Nous avons mangé et après, avons payé un bon calva que l'on avait dans nos réserves aux soldats qui étaient cantonnés là.

Il y avait, au moment du départ, une côte qui était très dure à monter et les chevaux en avaient marre, si bien que le calva leur ayant donné du tonus, les soldats ont mis leurs jeeps devant les voitures pour monter la côte, et allaient les chercher les unes après les autres.

Ensuite, on a fait plusieurs kilomètres sur la route vers Villedieu où parfois les camions passaient à deux rangs, côte à côte, nous on marchait sur les accotements et contre le talus.

 

Sur cette route, les soldats américains et noirs surtout plantaient des poteaux et montaient des lignes téléphoniques. C'était pas facile pour nous, et on le leur facilitait pas le travail.

Arrivés au Parc-Sainte-Pience, il a fallu reprendre la petite route. Nous nous sommes retrouvés à la Lande d'Airou, où nous avons encore une fois dormi.

Dans quelles conditions et où exactement ? Je ne sais plus.

Vendredi 11, à nouveau repris la route par Fleury, la Bloutière et là, de nouveau, il y a une côte très dure. C'est un cultivateur du coin qui est venu monter les voitures, avec un cheval, les unes après les autres.

Les voitures étaient toujours aussi chargées, car si le ravitaillement diminuait, les personnes âgées qui avaient du mal à marcher étaient dans les voitures. Certains chariots avaient rendus l'âme. Dans notre convoi, il y avait 7 voitures à chevaux.

Ensuite, passant par Sourdeval les Bois, Maupertuis, la route était remplie de tas d'obus, entassés sur des cent mètres, pour arriver à la Haye Bellefond puis finir notre voyage à Moyon où, en famille, nous avons couché chez le grand-père qui avait enterré la grand-mère le 22 juillet alors que nous étions partis le 24 juillet.

Pour l'inhumation de la grand-mère, on n'a pas pu mettre une voiture avec un cheval sur la route : on l'a conduite à l'église sur un chariot à bras, avec des béquilles au cas où, et ce, dès le lendemain, car le prêtre avait dit qu'il ne fallait pas attendre à lundi, il serait trop tard, et il avait raison.

Ceux qui n'étaient pas de la famille sont repartis chez eux, du moins ceux qui n'étaient pas sinistrés car dans le groupe, il y avait 6 familles dont la maison était brûlée. Moyon était sinistrée à 60% dans le bourg et 45% en campagne.

Dans la soirée, avec 25 ou 30 kilomètres dans les jambes, nous sommes partis vers le tour de toutes les maisons pour voir les dégâts, soit environ 8 kilomètres. Le lendemain, on a attelé le cheval pour rentrer à domicile, dernière étape après 18 jours passés loin de chez soi, et dont on se souviendra.

Pour nous, personnellement, pas trop de dégâts, du moins par rapport à ce que d'autres avaient subis. Comme à tout le monde ou presque, il nous manquait des bestiaux (4). On en a retrouvé deux, une qui a été prise par les soldats (il en restait la moitié de pendue dans la charterie). La quatrième, une génisse, nous l'avons retrouvée dans un rassemblement de bestiaux au Chefresne, mais devant des malhonnêtes, nous n'avons rien pu faire, donc deux en moins. Quant à la truie que l'on avait laissé avec ses petits, elle était toujours là.

A peine si on avait déchargé la carriole, la famille cochon est rentrée dans la maison et a mangé le beurre qui restait dans les bagages. Ensuite on a pris le lit de bon cœur.

J'avais toujours dit qu'il fallait que je mette tous ces souvenirs en écrit, ce qui est fait à ce jour.

 

PS : jour par jour, au moment de l'exode, j'avais fait un carnet qui, avec le temps, s'est trouvé perdu, ce que je regrette.

 

Lecture (Marie-Madeleine Beaufils) exode3

Moyon rasé

Sur la route du Bourg Groux, maison de Sylvain Viard à ce jour, et où habitait son grand-père, il y avait un dépôt de munitions très important. Les renseignements l'avaient signalé à la RAF, mais ils n'ont jamais pu le trouver vu qu'il était sur une toute petit route. En revanche, ils ont lancé 90 bombes sur les terres de Joseph Renouf et sur la route de La Haye-Bellefonds, à 800 mètres.

Deux bombes sont tombées auprès des vaches de Clémentine (André) Leconte mais elles n'ont pas été blessées. Un autre bombardement a eu lieu au bas de la Fontenelle, chez Madeleine Aumont. La maison a brûlé et les chevaux allemands qui étaient à l'abri ont été tués ou brûlés vifs. A la Fouquetière, la maison du Père Philippe, deux bombes sont tombées, dont une dans la cour, mettant le mur avant par terre. Les poutrelles, étant tombées devant, ont protégé plusieurs personnes qui s'étaient tassées dans le fond de la cuisine. Mais les barrières de la cour se sont retrouvées chez le Père Mauviel, 500 mètres plus loin, en étant passé par dessus la maison.

Un autre soir, on était à traire auprès de la Pétellerie. Lorsque les avions sont arrivés, ils ont pris pour cible un camion allemand, qui a entièrement brûlé, ainsi que ses occupants. On a été au moins 30 minutes cachés dans la haie, et pas fiers, car c'était près de nous qu'ils démarraient leur piqué pour aller mitrailler au Béhie.

Mais le plus fort fut le dimanche 10 juin où un convoi SS, parti de chez Albert Cirou, à la Forge Mazure, a été pris sous le feu et a été détruit. Il y avait des camions d'état major, d'essence, de munitions, Alftrak, et même une moto side-car. Il y a eu plusieurs morts et brûlés. Mais le comble a été que l'avion, qui avait si bien fait son travail, a voulu donner le coup de grâce mais en passant trop près, son hélice s'est prise dans la tête d'un hêtre, qui est toujours là, et est tombé, emportant sur 500 mètres pommiers et arbres qui étaient sur son passage, perdant son hélice et son moteur, pour aller encore plus loin se partager en deux où l'on a retrouvé le pilote mort et mutilé.

Il a été enterré dans le cimetière de Moyon, et ensuite regroupé dans l'un des cimetières militaires de la région. Mais il n'était pas le seul car à Moyon, comme ailleurs, il y a eu beaucoup de morts des deux côtés. Les allemands reposent à Marigny et les Américains à Colleville.

 

 

Lecture Evelyne Lesénéchal
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Nourriture

Si on revient un peu, pour la nourriture, en tant que civils, ceux qui étaient dans les fermes arrivaient encore à manger. C'est le pain qui manquait le plus, bien qu'avec un petit peu de labour, on arrivait à porter un peu de blé au moulin de Fervaches. Quand à la viande, on élevait des poules, des cochons, veaux gras que l'on portait chez le boucher Georges Girault, qui prenait tous les risques, abattait n'importe où, car il était surveillé, mais a donné manger à tout le monde.

Un jour, maman a eu la visite d'un contrôleur, mais il avait quelque peu fermé les yeux. Il est venu à domicile pour perquisitionner, mais il a bu un café et est reparti. Il fallait qu'il fasse acte de présence.

Une dizaine d'année après, il était au restaurant Briault à casser la croûte, quand ma mère est venue apporter son beurre chez marie-Louise, comme chaque semaine. Il lui dit : « bonjour Mme Hervieu ». ne voyant pas à qui il avait à faire, elle a répondu bonjour. Il lui dit : « vous n'étiez pas si fière le jour où je vous ai prise au moulin de Fervaches. » Voyant qu'elle était un peu surprise, ce contrôleur lui dit qu'il fallait bien qu'il passe, mais qu'il n'était pas méchant.

Lecture (Evelyne Lesénéchal)
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Résistance

Comme la résistance coupait les lignes téléphoniques, là aussi les hommes des communes avoisinantes étaient obligés de prendre un tour de garde chaque semaine, à tour de rôle, autour des postes et lignes téléphoniques. A Moyon, il n'y avait pas à faire la garde des lignes électriques car les avions, en coupant les routes, avaient aussi coupé les lignes électriques, ce qui ne permettait pas aux Moyonnais d'écouter la radio de Londres, ni l'appel du 18 juin 1940, comme certains l'ont fait dans d'autres régions.

Il n'y avait pas que la résistance qui coupait les lignes : parfois, des jeunes, pour embêter l'occupant, donnaient un coup de hâche et c'était bon. C'était là qu'il y avait un tour de garde la nuit.

Il y a aussi des jeunes filles qui étaient obligées d'aller peler des pommes de terre pour la troupe. Elles étaient réquisitionnées.

Ce qui n'était pas très intéressant, c'est que les allemands plantaient des D.C.A dans les chemins, et même en plein champ, et comme les avions passaient toujours par quatre, si la D.C.A tirait, elle était repérée et les avions revenaient leur larguer bombes ou mitrailles afin de les détruire.

 

Vers le 5juillet, je revenais de chez les grands-parents quand arriva devant moi une traction avant, avec deux gars de la Gestapo et deux gradés allemands. Arrivés à ma hauteur, ils s'arrêtent, descendent avec mitraillette et fusils. J'avais plutôt les boules, pas fier. Ils me demandent où habite Jo Cornu. Je leur ai dit que je ne savais pas. Ils m'ont dit : « vous êtes de Moyon ? » J'ai dit « oui ». « Vous devez connaître. ». « Ce n'est pas un habitant de Moyon ? » . Ils m'ont dit : « non mais il est chez sa tante. »

Bien que je savais où habitait la tante, je suis resté évasif. Ils m'ont dit « route de St-Lô. ». Je leur ai donné la direction de St-Lô. En fait je le connaissais très bien car avant 1939, il habitait chez sa tante, au Bourg Lambert, et nous étions voisins. Il avait été exempté de l'armée, n'étant pas très solide. Il est décédé en 1946,

J'ai appris plus tard qu'ils ne l'avaient pas trouvé et qu'il n'était pas là. Il était à la tête d'un réseau qui se trouvait aux environs de Rouen. Bien qu'il fut à la tête d'un réseau clandestin, il a toujours porté dans la doublure de sa veste un petit drapeau bleu blanc rouge. Je crois qu'il a dû être arrêté mais je n'ai jamais su où et comment mais s'en est sorti.

A Beaucoudray, il y avait un réseau de résistance qui a fait du bon travail. Mais pas assez mis en garde, ils ont été dénoncés, ou au moins repérés, et les Allemands sont venus. Il y a eu deux morts côté allemands, mais les résistants ont été pris et fusillés le lendemain, 15 juin (11 fusillés).

Lecture Evelyne Lesénéchal)
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Le premier dimanche d'août, une messe d'action de grâce a été célébrée en l'église de Chevry par un prêtre américain, avec absolution collective. Toute la population était là

Sous l'avenue de hêtres de la Millerie, les occupants avaient entreposé un important dépôt d'essence, mais avec les quelques bombes tombées autour du château, il n'a pas été détruit.

Au moment du débarquement, les Allemands avaient installé un camp de prisonniers à la Chapelle sur Vire, qui avait été transféré, à pied, sur Rennes 15 jours avant la libération chez nous. Certains en avaient profité pour s'échapper.

Deux mois plus tard, ce sont les Américains qui en ont fait un au Mesnil-Opac.

En bordure de Chevry, à partir du 2 août, il y avait un camp d'aviation en bordure de la route de Tessy (Valette).

Mais le plus important de la région était à Gourfaleur sur la route de Tessy, de même qu'à Beaucoudray sur la route du bois.

A leur arrivée à Chevry, les libérateurs ont trouvé les premiers civils et c'est en voulant se cacher en voyant un soldat qu'un dame est tombée sous les balles.

Au village de la Sabinière, sur Moyon, la famille Henri Desmonts avaient recueilli un groupe de réfugiés de Troisgots (Eugène Marie), avec leurs vaches. Dans le groupe, il y avait aussi deux demoiselles, qui venaient de Saint-Lô, où elles travaillaient à la Préfecture. Elles faisaient partie de la résistance et faisaient de faux papiers et fausses cartes au nez et à la barbe des autorités, personne ne se doutait. Elles étaient accompagnes d'un Anglais, qui parlait le français et l'allemand très couramment.

Un jour que les soldats allemands, pour se nourrir, avaient pris les vaches qui venaient de Troisgots pour les tuer, c'est cet Anglais qui s'est interposé en allemand. Le propriétaire des vaches n'a rien compris, mais les allemands sont partis et ont laissé les vaches sur place

En partant de Beaucoudray pour la libération de Tessy, un char destroyer américain est descendu dans la cour du château de la Millerie (Mnoël) et de là, a pris à parti cinq chars allemands qui passaient sur la route du Buisson, entre Moyon et Tessy. Il les a fait sauter tous les cinq, mais après avoir tiré ses rafales, il ne restait plus un seul carreau au château.

Après la prise à Beaucoudray des onze résistants, les troupes de la Wehrmacht réclamaient 50 otages aux maires de Beaucoudray et Villebaudon. Par chance pour eux, il leur a fallu partir dans la nuit pour la région de Marigny, où beaucoup ont été tués. C'était le régiment SS, qui avait fait de gros dégâts dans la résistance dans la région de Limoges, et à Oradour.

Un jour, fin juin ou début juillet, un jeune allemand qui était en cantonnement à la Métairie est venu chez nous pour chercher du beurre et des œufs pour son chef ? Il faisait tellement jeune et triste que je lui ai demandé son âge. Il m'a répondu 17 ans, il parlait un peu français et me dit : « moi, deux frères morts en Russie, deux autres morts en Normandie, moi peut-être demain ! »

Je ne pouvais rien répondre Bien qu'il fut jeune, ill n'était pas dans un régiment SS.

Il y a eu aussi dans la région, à Montbray, le 2 juillet 1944, à 50m de l'Eglise, la chue d'un avion sur une maison. Les sept personnes de la famille ont été tuées.

Et que devait penser cette famille, avec ses enfants, qui avait réussi à se procurer un gigot, l'a mis à cuire dans la rôtisserie, et quand il a été cuit à point, un groupe d'allemands est arrivé, s'est installé à table et devant la famille qui a dû sortir, n'a rien laissé du gigot !

Il y eut aussi, chez Désiré Frémy, ce régiment allemand qui n'avait rien mangé depuis un jour ou deux, et qui est arrivé à l'heure de la soupe et dévoré tout ce qu'il y avait sur la table.

Le chef, qui était un aumônier, n'a rien mangé et a pris le patron à part pour lui demander des excuses.

Je n'ai pas à passer toutes les choses vécues par certains, mais je revois le récit de cette famille de Saint-Lô qui avait deux enfants et en attendait un troisième Voyant le 5 juin que les avions passaient bas et cherchaient des repères, furent pris de panique et quittèrent leur domicile au centre de Saint-Lô. Ils arrivèrent au Bois Jugan et passèrent la nuit. Le bombardement de Saint-Lô a eu lieu, le feu étant par toute la ville. Le lendemain, le mari est allé faire un tour chez lui, ou ce qu'il en restait. Il n'y avait plus de maison, mais le feu n'avait pas pris là. A force de chercher dans les décombres, il a réussi à trouver un panier sur les deux qui étaient prêts à partir, tout content de sauver le si peu ; mais quand il a ouvert le panier, ce n'étaient que des pommes de terre, alors que papiers et bijoux dans l'autre étaient envolés. Mais il se trouvait heureux d'être en vie, car tous leurs voisins étaient morts.

Il leur a fallu aussi prendre la route vers la Mayenne, et se sont arrêtés à Ernée, toujours à pied et c'est là que le bébé attendu est né.

Lecture (Evelyne Lesénéchal)
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Pour revenir aux victimes civiles, un homme (Jules Guérin), qui croyait bien faire en allant à Fervaches avec sa voiture et son âne pour faire une boulange et rapporter du pain pour tout le village, fut pris sous une rafale de mitrailleuse et fut tué sur place. Son âne n'était même pas blessé. La voiture était versée dans le talus. C'était le lendemain du 6 juin 1944.

A un autre endroit, c'étaient deux hommes qui étaient partis à travers champs pour aller voir les bestiaux et voilà que surgissent les avions qui les avaient vu se sauver sous les arbres. Ils sont passés, ont fait un tour plus loin afin de reprendre en direct l'endroit où s'étaient cachés les hommes (Joseph Beaufils, Georges Delafosse). Eux avaient fait 200 mètres. Les avions leur ont lancé deux bombes, faisant des trous de 8 à 10 mètres de profond là où ils étaient deux minutes plus tôt. S'ils avaient attendu plus longtemps pour partir, c'était fini pour eux, car même les arbres étaient déracinés.

Une autre fois, c'est la ferme de la Cadairie (G.Delafosse) qui avait été prise à parti, uniquement à la mitrailleuse, mais la cour était piochée sur tous les sens, la paille de la toiture (à l'époque, la majorité des fermes de campagne étaient couvertes en paille) était cisaillée sur tous les sens, mais chose étonnante, la paille n'a pas pris feu.

Par contre, le domestique était parti à 500 mètres chercher du trèfle pour les chevaux. La jument, prise de peur, est rentrée toute seule à vive allure, avec le banneau, et a essayé de rentrer dans l'écurie, mais la porte n'était pas assez grande pour rentrer avec le banneau. Quant à l'ouvrier, il est rentré après, la peur au ventre, car il ne savait pas où étaient partis cheval et voiture. Ils n'ont rien perdu à attendre car en rentrant d'exode trois semaines près, toute la ferme était brûlée, environ 120 mètres de bâtiments.

 

Le dimanche 23 juillet, veille du départ des Moyonnais, les allemands avaient mis des grandes croix rouges sur le toit de l'Eglise et des écoles, mais à Moyon, l'eglise et l'école n'ont pas servi d'infirmerie, puisque les blessés partaient plus loin.

La prise de Moyon a été très dure, et c'est un Moyonnais, Désiré Frémy qui, voyant des fils téléphoniques qui partaient du clocher et allaient jusqu'à Troisgots, alla trouver les Américains qui étaient dans le haut de Moyon, au dessus du Carrefour Paris, à la Denisière, et c'est de là que le clocher a été pris pour cible. Un veilleur était là-haut et donnait des renseignements aux troupes qui, de Troisgots, les empêchaient de descendre sur Moyon. Le clocher de Moyon avait beaucoup souffert lui aussi. Il a été descendu au niveau du toit de l'Eglise avant de le reconstruire.

Le Carrefour paris a changé de mains 7 fois en deux jours. Quand le poste de surveillance a été détruit, l'avance ne se fit pas attendre : dans le chemin du champ des Raids, un cantonnement allemand, environ 200 , était découragé et sans munitions, et c'est un civil qui, ayant vu ces soldats, porta le message aux libérateurs. C'est un américain seul qui les a fait prisonniers.

Lecture (Evelyne Lesénéchal)
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Fin 1944 ou début 1945. Louise Delafosse (ma tante), tuée par la chute de sa cheminée, Hubert Lise (engin), 3 petits Auvray (torpille), plus deux morts au passage de la bataille, soit 7 civils pour Moyon.

Au Mesnil-Herman, quatre enfants ont été tués par un parachute qui était miné.

Fin 1944, la servante de Julia Beaufils donnait une tierrée à une vache sur la route. En avançant, elle a vu de la fumée sous la patte de la vache. Elle s'est couchée : c'était une mine qui a sauté et tué la vache. Même si elle n'a pas été blessée, elle a tout de même eu très peur !

A Tessy, un jeune qui bricolait dans un tank resté sur place a eu aussi très peur car le tank a démarré, et en plus un obus resté dans le canon est parti à 3 kilomètres.

Maurice Leroutier trafiquait un détonateur de grenade qui a éclaté, lui enlevant trois doigts. A la limite de Moyon, où chaque soir à la même heure passait une moto « le courrier », un fil avait été tendu en travers de la route. Le motard a été blessé : heureusement pour les alentours que l'ordre de partir est arrivé car...

Et ce jeune de 13 ans qui avait un vélo. Il s'est battu contre un allemand qui voulait lui prendre. Quand il a vu le sang couler sur son visage, il l'a laissé partir avec son vélo.

Et ce jeune qui voulut faire un essai en lançant une grenade dans une couvée de canard, le résultat fut formidable !

Lecture (Anne-Sophie Hardel)
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Après la guerre

On jouait avec les bombes

Moyon avait reçu l'ordre de partir, mais il n'y a pas eu trop de victimes civiles. C'est surtout après que morts et blessés ont été nombreux, dont une famille qui a perdu d'un seul coup ses trois enfants à cause de munitions restées sur place, et cela aurait pu être bien pire, car tout le monde a plus ou moins touché aux armes. On passait des après-midis entiers à tirer au fusil mauser, avec tous les risques que cela comporte, et à faire péter les grenades. Moi le premier, j'en ai fait sauter combien ! Au bruit des grenades au phosphore, Léon venait nous faire déloger vite fait et il avait raison ! Là où il y en avait, même chez les copains, j'étais toujours là pour faire des bêtises. On s'en est aperçu plus tard mais sur le coup on n'y pensait pas : au contraire, c'était à qui allait en faire péter le plus !

Un dimanche, après les vêpres, on a voulu, à quatre, faire un essai avec de la poudre explosive dans un sac de toile, l'allumer et le jeter à l'eau. Résultat : trois brûlés sur quatre, deux assez gravement, mains, cheveux, habits. Moi je n'avais rien : mais les parents nous faisaient le gros dos.

Un d'entre nous est allé jusqu'à enlever le dessus d'une mine américaine, c'était vissé dessus, et, tout heureux, a rapporté à sa mère un beau dessous de plat. Elle ne devait pas être amorcée.

Après la débâcle, l'école était faite là où il y avait de la place, dans les maisons. A Beaucoudray, c'était dans une maison particulière, mais il pleuvait par les trous de la toiture et en cas de fortes pluies, les enfants étaient obligés de mettre les pieds sur la barre de la table, pour ne pas avoir les pieds mouillés.

Si je n'ai pas vécu toutes ces aventures, parfois dangereuses, on était souvent très près.

1945 : le déblaiement du bourg a duré 8 à 10 mois, et il fallait charger tout à la main. Une entreprise était venue de Saint-Etienne, mais prenait aussi tous les disponibles, dont j'étais, et en retour on pouvait mettre le caillou dans les chemins ou les cours

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