Raymond Ozenne

Raymond Ozenne lors de son témoignage en avril 2011
Raymond Ozenne lors de son témoignage en avril 2011

J'avais 19 ans quand la guerre a commencé, début septembre, j'ai eu 20 ans en novembre et je n'ai été mobilisé que le 9 juin 1940 alors il y avait des personnes qui étaient un peu jalouses. Il y avait des maris qui étaient partis, les femmes étaient seules alors y'en a qui disaient « pourquoi ce ne sont pas les jeunes qui sont partis ?».

J'étais à la ferme avec mes parents et j'ai été mobilisé le 9 juin à Dinan et le 18 on a été faits prisonniers donc on est parti à Rennes. On couchait sur les pavés d'une caserne. On est resté 2 jours et ensuite on est allé dans une autre caserne au dessus de Rennes. Au départ on ne faisait rien du tout, la nourriture n'était pas tellement bonne car on mangeait des résidus de l'armée française, des viandes avariées. On a attrapé la dysenterie.

Ensuite j'ai eu de la chance parce que j'ai réussi à avoir une permission agricole, pendant 2 mois puis ils nous ont rappelé. Là on a été à peu près heureux à retaper une préfecture pour les allemands. Et puis début novembre, direction l'Allemagne, dans des wagons à bestiaux, 40 par wagon. Le voyage a duré 10 jours, on a atterri en Prusse. Là-bas c'était la pagaille, un grand camp. Après on est partis dans un commando. C'est de ce camp qu'on démarrait pour partir dans les fermes travailler.

Moi je suis parti avec deux camarades pour travailler pour faire un champ d'aviation tout l'hiver. Il faisait -35 degrés des jours. Ca a duré jusqu'au printemps. On n'avait pas de colis rien. Rutabagas et pommes de terre avariées, je ne sais pas comment on vit encore !!

Après on nous a dit qu'on allait partir du commando, sans dire pour aller où. C'était pour aller travailler dans une ferme. Au départ, on n'était pas heureux, le patron est venu nous chercher. On couchait à 8 dans une étable, le fumier venait de partir, au départ on n'était pas trop heureux non plus mais on mangeait à notre faim. On était assez tranquilles. A la fin, deux camarades ont été démobilisés, un par père de nombreuse famille. Et l'autre, on avait des sentinelles, on tombait une fois sur une bonne, une fois sur une mauvaise. Y'en avait un, il venait de l'Orne et il avait un kyste sur la joue. Il avait dit au patron de la ferme : « si jamais la sentinelle revient, je vais me porter malade ». Il s'est porté malade et il a été libéré. Dans la ferme on arrivait à bien manger parce qu'on faisait le marché noir, on volait, on se débrouillait. Entre les deux armées allemandes et les russes on a été trois semaines. On vivait en campagne, on avait fait monter une bâche pour ne pas rester dans le bourg. La libération par les russes en mars 1945 a été dure. Après, les russes, ce n'étaient pas comme les américains, ils n'avaient pas d'ordre, rien du tout, il fallait se débrouiller, on allait dans le train comme on voulait mais dans les trains de marchandises on attrapait des poux parce que c'était dans un wagon de peux de vaches abattues et on a atterri dans le sud de la Pologne et là on est resté 3 semaines. Puis on est partis en Russie, toujours dans des wagons à bestiaux mais on était mieux parce que les portes étaient ouvertes tandis qu'avec les allemands, elles n'y étaient pas. On a arrêté et là on s'est désinfecté. C'était bien fichu, c'était une rame de wagons, on se déshabillait, on prenait la douche, c'était bien foutu quand même. Alors la nourriture n'était pas formidable mais on se débrouillait. Ce n'était pas du tout la même chose. Après on est partis à 70km au dessus de Moscou et là personne ne blaguait parce qu'on était quand même plus de 1500 et que la Russie envoyait toujours en Sibérie. Alors là, on est restés trois mois. La guerre était finie depuis le 8 mai. Quand on est partis en Russie elle n'était pas finie. On ne faisait rien, on n'était pas mal, la nourriture n'était pas formidable, on allait aux WC, c'était presque du crottin de cheval qu'on faisait ! Le 30 juin on est repartis pour revenir en France. Certains étaient dans des wagons tourisme. Ils nous donnaient à manger mais il fallait qu'on prépare à manger. Sitôt qu'on arrêtait quelque part, on descendait du train et avec notre casserole on se débrouillait. Mais ce n'était même pas à la moitié de cuire qu'on repartait ! On a été 1 mois à revenir. On est descendus par l'Ukraine, on est passés à Varsovie qui était détruite complètement, après on est arrivés à la frontière de Berlin, Brandebourg, et là les ponts n'étaient pas finis alors on a été obligé d'attendre. Après de l'autre côté de Berlin, les ponts n'étaient pas finis et puis il y avait une mauvaise entente entre les russes et les américains. De là on a réussis à partir quand même. On était dans une caserne allemande et c'est là que les américains nous prenaient. Ils venaient nous chercher en camion et on prenait le train après. On est repartis par la Hollande parce qu'il y avait des ponts qui étaient démolis. On a été bien reçus avec chocolats, puis on a passé la Belgique, même chose et on est arrivés à Compiègne en France. Là on a a été libérés et on est allé passer des visites à Cherbourg quand on est rentrés. Mais on était fatigués après un mois de train à coucher sur le bois. Y'avait pas de matelas. Même quand on est partis en Allemagne et que les wagons étaient bouclés, on faisait des hamacs avec des couvertures qu'on prenait parce qu'il y avait des bâches. On était pas mal, mieux que ceux qui étaient par terre. Le pire, c'est quand on est descendus du train devant Berlin, y'avait déjà 4 jours qu'on était dans le wagon, sans rien, il fallait se débrouiller, même pour les toilettes, tout ça. On ne faisait pas de toilette et on était obligés d'uriner dans des boites et de jeter ça par la lucarne. Après on est rentrés et la vie a recommencé.

J'ai été prisonnier le 18 juin et je suis revenu le 31 juillet, le dernier de Moyon. Quand on a été libérés par les russes, ce n'était pas rigolo, ils enlevaient les bas, ils tuaient pour un rien, c'était dur. Quand on ne doit pas y passer, on n'y passe pas ! On se disait « quand même notre santé plus tard, en prendra un coup ». Et on est encore là ! J'avais un cousin qui était avec moi. Ca m'a rendu service, on était 4 copains : y'en a un, c'était mon cousin de Cerisy la Salle, un autre était de Canisy et un de St Sauveur le Vicomte, qui vit toujours. On se rencontre des fois. Je n'ai pas combattu mais je suis ancien combattant parce que j'ai été prisonnier. Y'en a qui ont été prisonniers, ils se sont tirés, ils n'ont pas la carte des combattants. Avec les allemands, y'en avait qui se débrouillaient mieux que d'autres pour apprendre une langue. Moi j'avais un cousin qui se débrouillait puis on arrivait à comprendre quand même, rien qu'avec les signes. De ce côté-là il n'y avait pas de problème. Au bout d'un an qu'on est arrivés en Allemagne, on a eu des colis mais le premier hiver non. Mon cousin a juste reçu un colis au mois de février. On pouvait écrire, on avait droit à 2 cartes par mois, des papiers réponses. On ne pouvait pas recevoir de lettres sur papier libre, il y avait un contrôle.

Quand on est revenus là c'était sinistré. En juin 44, quand les américains ont passé Avranches, la commune de Moyon a été citée plusieurs jours dans le journal. Ca disait que ça se battait à Moyon alors là ça fout le moral un peu à zéro. Les polonais qui étaient là étaient plus libres que nous donc ils avaient le journal. C'étaient eux qui nous expliquaient.

Quand je suis revenu, la maison n'était pas détruite mais le grand bâtiment était brûlé et des obus étaient tombés sur la toiture. Les parents et tout le monde étaient contents de se revoir. Ca faisait 5 ans. Il y en a qui sont partis encore plus longtemps, 8 ans ! Parce qu'ils ont été mobilisés avec le régiment, ont été rappelés et après ils ont été faits prisonniers. Il y a Alphonse Savary qui fait 8 ans. Y'en a qui ont fait 8 ans et qui perdaient presque la tête. Le temps passait quand même. Dans les camps il y avait des théâtres. C'était les sentinelles qui faisaient que ça allait ou pas. Quand c'était une bonne c'était bien. Y'en a une qui était une saleté. On nous a dit qu'il était mort sur le front russe mais on n'en sait rien. Il nous menaçait à la baïonnette parce qu'on recevait du calva dans les colis et il les ouvrait. Un jour, on était 8 à avoir un colis et mon cousin en avait 5 pour lui tout seul. Moi et mon cousin on avait des bouteilles de calva. Quand il a ouvert moi j'ai caché sous la table, on était malins quand même ! Mon cousin c'était le dernier colis, il l'a ouvert mais n'a pas eu le temps de tirer la bouteille. La sentinelle l'a menacé à la gorge avec sa baïonnette. On était pas fiers. Là dessus, ce gars-là (la sentinelle), il est allé au commando pas loin de nous à 6-7 kilomètres. Il vient nous voir, parle avec deux sentinelles qui étaient mauvaises et puis l'autre lui dit : « y'en a un que je ne peux pas arriver à dresser ». Il a dit « moi je vais bien y aller ». Il y va et pas longtemps après, parce qu'il y avait quand même de l'ordre, il lui fiche un coup de poing. Le gars est tombé par terre, a fait le mort. Puis il a porté plainte et la sentinelle qui était méchante est repartie. Le patron aimait bien cette sentinelle là parce qu'il était dur avec nous. A côté de ça il y en avait des bons. Il y en a eu un auprès de la frontière française, chacun quand on avait notre anniversaire on avait une bouteille.

Le courrier n'était pas très régulier, y'a des colis qui étaient trois mois à venir. Le courrier c'était une carte et deux lettres par mois, c'était pas mal.

 

Les parents ont eu peur, quand il y a eu le débarquement ils sont partis car les allemands les obligeaient. Ils sont partis à la Colombe, Percy. J'avais 3 sœurs et 2 frères. Il n'y a eu que moi comme prisonnier. Les autres se sont camouflés, ils ont eu raison. Moi j'aurais pu partir quand j'étais à Rennes. Mas il ne faut rien regretter. Mais les guerres ce n'est pas beau du tout.