1ère quinzaine de juin, par Georges CIROU

 

Début juin 1944, nous étions inscrits à la Recette Buraliste pour distiller le 6 juin à l'atelier public de Moyon, près du Marcran. Nous ne savions pas que le débarquement aurait lieu ce jour-là. De bonne heure au matin, en compagnie de mon père, nous étions arrivés pour la mise en route du travail. Lorsque le feu fut allumé sous l'alambic, un avion vint nous survoler sans incident. Que se passe-t-il ? nous disions-nous. Nous avons vite compris, nous trouvons des tracts partout dans les champs, sur lesquels était marqué « les Alliés débarquent ».

Après plusieurs allers et retours de la ferme aux Bouillottes, la journée s'était bien passée. En fin de journée nous apprenons qu'il est interdit de circuler avec des chevaux et autres moyens de transport. Tout le monde ne le savait sûrement pas. Le lendemain matin, le mercredi 7 juin, alors que je fauchais du trèfle pour les chevaux, un voisin, Jules Guérin, qui s'en allait à Fervaches, passa avec sa voiture à âne. Quelques instants après, un avion vient piquer à l'endroit où je suis, je n'en avais jamais vu un d'aussi près. Je n'ai pas peur, ni l'idée de me sauver. En l'espace de quelques secondes, j'entends l'avion mitrailler un peu plus loin, je croyais à une centaine de mètres. Je vais voir jusqu'à l'entrée de la ferme de la Marcandière et je ne vois rien. Un cycliste nous informe aussitôt qu'un homme vient d'être renversé dans un tournant de la mare Saint-Germain. Pensant qu'il ne s'agit que d'une blessure nous attelons la jument sur la carriole, et nous mettons un matelas et des couvertures, dans l'intention de porter secours. Quand nous arrivons au dernier tournant avant le Carrefour de la Branlière, nous trouvons la voiture à âne sur le côté, le père Jules éjecté sur la berne de gauche. Frappé par une balle explosive, il a été tué sur le coup. L'avion est revenu à nouveau pour surveiller la route. Avec un cantonnier qui travaillait encore sur la route, je suis resté auprès du défunt pendant que des gens vont prévenir la famille. Ensuite nous reportons le corps de la pauvre victime chez lui, au village de la Petellerie. C'est un triste souvenir auquel je pense chaque fois que je passe à cet endroit.

 

Dans la nuit du 11 juin à la première heure, un grincement de freins se fait entendre : c'est le premier camion d'un convoi allemand qui s'arrête chez mes parents à la ferme du Haut-Aunay. Le chef du convoi frappe à la porte et dit à mon père : « Monsieur, nous venons déjeuner chez vous ». Vous pensez bien que le réveil fut vite fait. Tous les camions du convoi s'immobilisent près de la maison et dans les champs qui sont proches. Des soldats coupent des branches de tous côtés pour camoufler leurs véhicules. D'autres s'installent dans la maison et font la cuisine avec ce qu'ils trouvent sur place, œufs, viande dans le pot à lard ; ils disposent également d'une motte de beurre qui n'a pu être commercialisée dans la semaine ainsi que du pain sorti du four la veille. Des soldats fatigués occupent nos lits après avoir enfoncé les portes qui étaient barrées. Ce fut le pillage systématique dans toutes les pièces.

Mon père avait remarqué que l'aviation alliée surveillait notre route (la D96) tous les jours vers 8h du matin. Aussi craignant le danger d'un tel voisinage nous décidons de nous réfugier chez des voisins au village du Crespin. Vers 7h, nos indésirables pensionnaires se préparent à partir. Nous pensons alors rentrer chez nous, mais étant à mi-chemin, l'aviation américaine est arrivée, mitraillant sans relâche. Nous avons juste le temps de nous cacher sous les branchages : les gens ont très peur. Le convoi allemand est mitraillé sur deux kilomètres, plusieurs camions sont mis hors d'usage, notamment à la Perruque et entre la Saroyère et le Paradis. Lorsqu'un camion de munitions est touché, c'est un vrai feu d'artifices avec des explosions. Plusieurs soldats allemands tombèrent sous la mitraille ; ils furent enterrés dans un champ qui fait l'angle, à droite de l'entrée du chemin de la Cadairie.

Un avion américain voulant voler trop bas pour mieux atteindre son objectif s'accrocha dans un arbre et alla s'écraser dans un champ de la Valesquerie. Le pilote qui venait pour notre libération fut tué dans l'accident. Le convoi allemand fut coupé en deux et la moitié revint à nouveau chez mes parents pour ne repartir que le lendemain en direction de Feugères.

Les allemands faisaient partie d'une unité SS. D'après les informations que j'ai pu recueillir, il pourrait s'agir de la XIIe SS PANSER « HITLER JUGEND » dont les débuts d'instruction des dix mille premiers jeunes eut lieu à Beverloo en Belgique, et sa création officielle le 24 juin 1943. Elle fit partie des sept meilleures divisions hitlériennes qui en octobre 1943 ont eu droit à l'appellation de « Panzergrenadier division ». Dès le 7 juin, cette formation fut aux prises avec les forces alliées dans la région de Caen.

Le 14 juin fut un jour terrible pour les maquisards de Beaucoudray, l'un d'eux, un rescapé, arriva dans la matinée chez mes beaux-parents, à la ferme du Bois. Très inquiet et tout tremblant, il demandait de lui brûler tous ses papiers. Il avait soif et demandait à boire. Il demandait également qu'on lui donne un outil pour avoir l'air d'un travailleur. Il alla se réfugier dans le voisinage, ce qui lui permit d'échapper à la fusillade qui eut lieu le 15 juin à 4 heures du matin, dont onze de ses camarades furent victimes.

 

Roland Gosselin (qui fut maire de Fervaches) avait à cette époque 13 ans. Il se souvient que les troupes allemandes venant du bas de la Manche, dès le 6 juin au matin passaient par Beaucoudray, empruntant les petites routes venant de Gouvets, Montabot. Des branchages camouflaient tous les véhicules.

Il se souvient de M.Pierre Quesnel, maire de Beaucoudray discutant, le 14 juin, avec des officiers allemands, et leur tenant tête.

Un groupe de résistants mis en place par Ernest Prouvost, (délégué national de la résistance pour la Manche – l'Orne et le Calvados) et dirigé par Marcel Richer (délégué pour la Manche) avait trouvé une maison cachée auprès du bois de Moyon. Un parachutage d'armes avait approvisionné le groupe en armes et munitions.

Les prévisions de l'avance américaine étaient optimistes, les américains devaient être dans le secteur vers le 15 ou 20 juin, et les maquisards devaient prendre à revers les allemands. Mais les libérateurs piétinaient dans le bocage.

On connait l'épreuve des 11 maquisards qui furent fusillés le matin du 15 juin...