Marcel Pasturel

Nous avons croisé Rommel en 1940

Nous sommes partis en exode en Bretagne dès 1940 parce que mes parents avaient une scierie à Airel et on avait accueilli des réfugiés du Nord de la France. Ils ont fui car en 1914, les gens du Nord, on en a peu parlé mais ils ont souffert de l’occupation. Il étaient considérés comme des occupés, il n’y avait rien pour les protéger alors quand les allemands arrivaient dans un village, les gens du Nord étaient soumis à toutes sortes de contraintes, les allemands n’étaient pas tendres donc ils ne voulaient pas que ça recommence. C’est pour ça qu’il fallait fuir, ne pas rester avec eux. Donc on avait accueilli des réfugiés, il y avait un homme qui avait un certain âge et puis son fils de 18 ans. Ils avaient une voiture, une citroën Torpedo. On les écoutait parler, les allemands arrivaient. Mon père avait la radio et on écoutait Paul Reynaud, tout ça, qui nous disait qu’il fallait tenir le coup et voilà qu’à la mi-juin, les Allemands avaient passé la Seine, les dépôts pétroliers étaient en feu et on voyait la fumée, le vent était à l’est et ça ramenait la fumée par chez nous, on voyait ça de loin.

C’était une période difficile à comprendre. Les réfugiés du nord nous disaient : « non non il ne faut pas rester là, vous ne vous rendez pas compte de ce qu’ils vont vous faire, des misères."

Mon père avait une camionnette et une voiture : une citroën Rosalie alors nous sommes partis à 3 voitures, tard le soir et nous avons pris les petites routes. Alors dans une voiture on avait mis de l’essence et au passage à St Fromond, nous avons pris les cousines. Dans la voiture y’avait les deux cousines avec ma sœur et moi j’étais à l’avant entre les jambes de ma belle-mère (car mon père s’était remarié). Suivaient derrière les réfugiés du Nord avec la voiture et la camionnette. Et nous sommes partis par St Jean de Daye, Feugères, les petites routes que mon père connaissait, et nous sommes arrivés à Coutances. Et à la Croix Guihard, à la jonction de la ville au milieu de la rue, on a vu un char et un homme qui est venu habillé en vert avec un grand imperméable qui nous a demandé la route de Cherbourg. Mon père, je ne sais plus ce qu’il a dit. Et nous avons continué la route.

Après on a continué la rue vers Granville, St Pair, on suivait la côte pour aller à Guingamp parce que mon père avait un frère à Guingamp qui était maître bottier à la Caserne. C'était son ainé, il avait fait la guerre 14. Mon père lui, était trop jeune pour l'avoir faite, c'est ce qu'ils lui reprochaient. Ils lui disaient souvent : trop jeune pour la guerre de 14, trop vieux pour celle de 39.

A St Pair on arrive dans la rue qui est aujourd'hui en sens unique, et là il y avait des soldats français partout, qui étaient là, désoeuvrés, qui chantaient, s'occupaient, et il y en a un qui a voulu monter dans la voiture. Pour mon père, il n'en était pas question. La voiture était déjà chargée, je ne vois pas ce qu'on aurait pu faire. Le soldat a ouvert la porte de mon côté, je le vois encore tenir ma porte mais à l'époque il y avait une lamelle de cuir qui tenait la porte sur les cotés, et la lamelle a cassé. Il s'est agrippé et avec ses chaussures cloutées je le vois encore glisser. Mon père a accéléré puis s'en est débarrassé. J'ai vraiment eu peur, j'ai gardé ce souvenir.

Pour en revenir au char et à l'homme en vert, j'ai fait des recoupements après, notamment grâce au livre Cotentin en 1940 qui raconte l'avant garde de Rommel. Le général Rommel c'était un général de division et c'est grâce à lui et à Guderian si en 1940 ils ont gagné la guerre. Tout le monde s'imagine que l'armée allemande était motorisée, mais non, il n'y avait que trois divisions qui étaient vraiment motorisées. Il y avait celle de Rommel,  Guderian et une autre.

Rommel est arrivé vers le 18 juin, ça correspond à notre passage, il cherchait la route de Cherbourg. On peut aller à Cherbourg soit par Montluçon, Lessay ou prendre l'autre route qui mène à La Haye du Puits. Nous on ne savait rien donc on a continué. On est arrivé à Guingamp le matin. On a passé la journée, on n'avait pas dormi. Mon oncle nous donnait des nouvelles de la progression, ce qu'il savait. On s'est couchés et puis le lendemain matin, on se lève, on déjeune. Mon oncle habitait boulevard de la Marne, sur la route de Brest, et qu'est ce qu'on voit ? Des camions, c'étaient les allemands, qui passaient à toute allure. Un camion s'est arrêté parce qu'il y avait un garage qui vendait de l'essence et donc là j'ai vraiment vu les allemands pour la première fois avec leurs baionettes. Ca fait drôle. Mon oncle avait fait la guerre 14 et l'occupation et s'était marié à une luxembourgeoise qui avait subi toute l'occupation allemande en 14, avec ses vieilles tantes qui étaient là dans la maison et qui pleuraient parce qu'elles revoyaient ce qui s'était passé en 14. Alors il n'y avait plus qu'une chose à faire, on a mangé puis on est reparti sur Airel. Et en revenant sur la route on a croisé les convois allemands. C'étaient les divisions motorisées allemandes qui se dirigeaient vers Brest. Leur tactique c'était de prendre Cherbourg, c'était un ordre que Rommel avait eu. Les marins de Cherbourg avaient eu pour mission de retarder, à l'aide des marées.

Le Cotentin est séparé à un endroit entre Carentan et Portbail par des marées. Napoléon voulait faire un canal Carentan-Portbail. Il a commencé, à Carentan on peut voir le canal des espagnols.

C'était pas nouveau, ils voulaient les arrêter là à Carentan. Au Pont d'Ouve y'a eu des canons de 75 de mis et plus loin à Denneville, au passage à niveau ils ont aussi mis un canon de 75, un autre à St Sauveur de Pierrepont. Les allemands sont arrivés, véhicules motorisés, et ils ont été retardés, ils ont eu trois véhicules incendiés, un officier allemand est mort. Il y a eu des pourparlers, les marins de Cherbourg ont refusé de capituler et à St Sauveur de Pierrepont, auprès de l'Eglise, le canon était là et malheureusement leur chef était sous un if et y'a un obus qui a percuté l'if et il y a eu 3 marins de tués. Et y'en a un qui est enterré près de l'eglise, qui a été incendiée.

Les allemands ont continué par les petites routes, ont contourné l'obstacle de Denneville où ils avaient eu un échec, ils ont continué vers Cherbourg mais au pont de Martinvast, il y avait un canon de 75 qui a arrêté Rommel, qui était furieux parce qu'il a été obligé de s'arrêter dans cette petite route. Il a dormi dans un château. Il avait ordre de Hitler de prendre Cherbourg au plus vite. Les cuirassés courbets qui étaient en mer, bombardaient les allemands qui étaient aux Ponts d'Ouve et puis y'avait aussi les forts de Cherbourg qui tiraient mais finalement ils se sont rendus. Y'a eu capitulation, l'amiral Abriyal a reçu Rommel au château de Tourlaville et a capitulé. C'était l'armistice.

On n'en parle pas souvent mais ils ont quand même retardé la progression de Rommel que nous avons donc certainement rencontré, mais c'était difficile à arrêter.

Rommel était parti de la Seine, de Pause, près de Rouen, le matin, certainement de bonne heure, et est arrivé le soir à Coutances, en passant par Flers. Là bas, y'avait un ancien combattant qui avait un pistolet et lui a tiré dessus. Il l'a loupé mais Rommel l'a laissé en liberté. Les soldats l'avaient pris mais Rommel lui a pardonné. Rommel était un vrai soldat, ce n'était pas un nazi, c'était un homme droit qui refusait toutes sortes d'exagérations alors que les autres ne se privaient pas. Par exemple en Libye il avait eu ordre de Hitler de fusiller les soldats français de l'armée Koenig, qui étaient prisonniers. Rommel a toujours refusé car ils considérait que c'étaient des soldats. Il s'est opposé souvent à Hitler.

A trois reprises, Hitler lui a ordonné de stopper car à un certain moment dans l'est, il pouvait se faire encercler mais il a continué à avancer avec les trois divisions blindées et sa tactique était bonne. S'il avait écouté la prudence, ça aurait peut être été différent. Ils ont d'abord filé sur Dunkerque. L'Etat major français croyait qu'ils allaient faire comme en 14 alors que leur idée était de passer par les Ardennes alors Guderian est passé par Sedan et Rommel un peu plus haut.


Les prisonniers embauchés à la scierie de mon père

On est rentrés à la maison et la vie a continué sans problème. Mon père avait une scierie et un atelier de menuiserie donc les troupes de l'occupation sont venues. Une fois en 41-42 , ils ont investi la scierie pour faire des traineaux pour partir en Russie. Ils n'étaient pas de poil car ils savaient qu'ils partaient là-bas. Après l'armistice, en juillet -août, y'avait 10000 prisonniers français à St Lô, à la remonte (l'ancien haras qui se trouvait auprès de l'eglise Ste Croix qui a été détruit). Il fallait les loger alors les allemands avaient demandé à mon père de fournir du bois pour faire des lits superposés.

Mon père a dit ,: « oui je veux bien vous fournir du bois (mon père était tout seul avec un scieur qui avait à peu près son âge, 40 ans) mais on est que tous les deux, il faudrait de la main d'oeuvre, que je trouve des ouvriers, alors ils ont proposé de donner des prisonniers donc mon père a hérité de 5 ou 6 prisonniers qui sont venus à la scierie. C'étaient des gens qui habitaient aux alentours d'Airel, St Fromond, y'avait M.Mançon, cultivateur, Le quertier, pharmacien, des gens du coin, sauf un qui habitait plus loin. Tout l'automne, ils étaient plus souvent chez eux qu'à la scierie, mais voilà qu'un jour, au mois de janvier 41, il tombait un peu de neige, il faisait froid, j'étais à la maison car c'était un jeudi, c'était le jour de repos à l'époque et on voit arriver un camion avec des allemands et une voiture particulière avec un officier allemand qui en sort, casquettes, bottes impeccables. Il dit : je viens chercher les prisonniers, où ils sont ?

Ma belle mère était toute seule, elle a dit : "mon mari est parti mais il va rentrer tout de suite », elle lui dit « vous savez les prisonniers ne sont pas là car ils sont partis travailler », elle a menti bien sûr. Elle a dit il faut le temps d'aller les chercher. Mon père est rentré et il a donc été chercher les prisonniers chez eux car ils n'étaient pas au boulot. Il a finalement pu les rassembler à la maison sauf celui qui était dans le bas de la Manche. Pour celui-là il a du raconter une histoire. Ma belle-mère a demandé à ce qu'on leur donne à manger. Je vois encore la grande pièce, table rectangulaire, je vois encore les prisonniers manger sous la garde de 2 sentinelles. Quand il y en a un qui voulait aller aux toilettes, le sentinelle l'accompagnait.

J'avais 9 ans et y'avait une cousine qui venait faire la couturière comme ça se faisait beaucoup à l'époque, elle avait emmené sa fille qui avait 4-5 ans, elle était plus jeune que moi. Elle était avec moi, avec les prisonniers qui étaient en train de manger, les deux sentinelles et elle s'amusait avec un soldat allemand. Ensuite ils sont partis avec les prisonniers dans le camion.

8 jours après, on a vu passer, comme la scierie était juste à ras la voie ferrée Lison-St-Lô, un train avec des wagons à bestiaux avec des trappes d'aération grillagées et on a vu les prisonniers qui nous faisaient des signes. Ils partaient en Allemagne. Les gens étaient abasourdis car à l'époque ils croyaient qu'ils allaient être libérés. Ils pensaient que Pétain allait arranger ça mais ça n'a pas été le cas. A partir de là, les gens ont compris. Ils étaient partis travailler dans des usines allemandes et sont revenus en 1945.

Pour les gens, que les gens soient prisonniers à St-Lô, c'était provisoire. Y'en a qui sont revenus pour raisons professionnelles, des marins, des fonctionnaires, employés de la PTT, mais d'autres, comme mon beau-père, sont partis 5 ans. Mon père était trop vieux, il a été mobilisé mais affecté spécial car avec la scierie il fournissait du bois pour faire des bâteaux pour Cherbourg. Donc il est resté à la maison.


Les pères de trois enfants ont été libérés assez vite, deux enfants en 1943, un enfant qu'à la fin de la guerre en 1945.


La bonne intuition de mon père

A l'école, dans un premier temps c'était normal mais après les allemands ont réquisitionné les classes donc on allait un peu partout, dans les maisons, des petites pièces, le curé avait donné une pièce pour la petite école.

En 1943, je suis allé à St-Lô, à l'école Baudry en face de l'eglise Ste Croix. En 1944, mon père a eu l'idée de me ramener à la maison au mois de mai car il avait le sentiment qu'il allait se passer quelque chose. C'était une intuition. Il a bien fait car j'aurai pu être pris avec les st-lois sous les bombardements. Je suis rentré à Airel. Et ma soeur c'était pareil, elle était en pension et il l'avait ramenée.

Mon père a fait un abri en béton avec des arbres sous les yeux d'un capitaine allemand qui logeait dans la maison. Il regardait ça d'un air...


Un obusier à la maison

On a été libérés assez rapidement à Airel, car les Américains se sont arrêtés à la Vire. Ensuite il a fallu attendre un mois avant que Cherbourg soit pris. On a été libérés 5-6 jours après sans problème. Je vois encore les Américains arriver par la voie ferrée. Seulement après ils se sont mis à bombarder St Fromond on ne sait pas pourquoi.. Ils ont commencé  par venir à la maison avec un obusier en plein air dans l'après midi. Ca n'a pas fait de pli, dans la soirée les allemands ont répliqué, on voyait des scrapnels, des obus fusants qui éclatent en l'air et moi j'étais en train de soigner les lapins, car c'était ma mission. Vous savez, il ne s'agissait pas d'aller chez le boucher, pour la nourriture il fallait se débrouiller. Je rentre à l'abri et il y avait un américain qui était là, blessé, et un autre qui avait une jambe à moitié coupée. Un quart d'heure avant, j'étais avec eux à côté de l'obusier car en bon curieux j'avais été voir ça. Le lendemain il y a eu un bombardement intense, on a reçu des obus sur l'abri alors il a fallu partir. Mais avant ça pendant une semaine on a vu les Américains envoyer des obus sur St Fromond et on voyait la destruction des maisons. On entendait les obus siffler, ça faisait zzzz au dessus de notre tête et on se disait : où il va tomber. On a vu la scierie flamber et on a vu un grand trou dans une maison assez haute qui était en face la mairie de St Fromond et la belle maison du docteur Boscher.


La nourriture

On mangeait ce qu'il y avait : les lapins, les poules. Pendant la guerre il y avait les tickets. Pour le pain, on n'avait pas de problème à Airel car on habitait juste à coté d'une minoterie et on allait chercher le pain normalement à la boulangerie d'Airel près du pont. Ma belle-mère leur donnait tout ce qu'elle avait de tickets et ils se débrouillaient et je pense qu'avec la minoterie ça devait s'arranger.


L'exode vers Trévières en véhicule gazogène

La vie était un peu changeante tous les jours. Pendant le débarquement on ne savait pas très bien de quoi le lendemain serait fait.

On est partis trois semaines auprès de la Foulie, sur St Martin de Blagny en direction de Trévières, chez des gens qu'on connaissait un peu. Mon père avait une voiture à gazogène. Les gens roulaient avec des voitures. Pour avoir de l'essence, il y avait des priorités. Par exemple les commerces de bouche, le patron de la minoterie par exemple, mais les autres il fallait qu'ils se débrouillent. Il fallait aussi un permis de circuler par la préfecture, mon père en avait un. C'était en plus du permis. Sauf le dimanche où c'était interdit de rouler. Avoir un permis de circuler avec la voiture à gazogène c'était déjà un privilège. Le docteur de St Fromond avait une traction équipée de gazogène. Mon père avait trois véhicules à gazogène : un tracteur Renault. Les constructeurs français Renault, Citroên (pas beaucoup) et Peugeot continuaient de faire des véhicules, mais équipés de gazogène.

Le gazogène, les allemands en avaient; pour les camions qui servaient à l'intendance.

Le gazogène, il fallait en vouloir pour rouler avec ! Moi je ne conduisais pas, j'étais trop jeune, mais je voyais mon père. Il fallait au moins une demi heure avant de partir.

Nous sommes allés d'Airel jusqu'à Cherbourg avec la camionnette au gazogène. Ce n'était pas triste ! Un gazogène se compose d'une bouillotte. A l'avant de la camionnette, il y avait deux bouillottes : dans une c'était le feu. Le principe c'est de faire du feu. Pour ça il faut un ventilateur. Sur le tracteur Renault c'était un ventilateur à main, que je tournais, d'ailleurs. On m'embauchait à tourner la manivelle. Et on mettait du bois, des petits bouts de bois, du hêtre sec, pas du chêne. Pour allumer le feu, on prenait un bout de corde imbibé d'essence. Le ventilateur tournait un certain temps jusqu'à ce qu'au bout du tuyau, on puisse enflammer le gaz. Une fois que le gaz était bon, on pouvait démarrer. Il y avait une autre façon de démarrer : sur l'essence car il avait le droit à un réservoir de 5 litres sur la camionnette Rosalie. Alors il démarrait sur l'essence et ensuite il essayait de passer sur le gaz.

Alors nous voilà partis à Cherbourg au milieu des convois américains. Des fois le moteur calait alors mon père repassait sur l'essence, refaisait du gaz etc. En plus une voiture au gazogène perd 20% de sa puissance. Une côte que vous pouviez monter en seconde, vous la montiez en première. C'étaient des voitures à 3 vitesses.

Avec le tracteur Renault, le démarrage était à la manivelle et en plus parmi les marques les deux moteurs valables c'était Peugeot avec la 402 et la traction. Mon père avait sur la camionnette Citroen un moteur de traction de 7 chevaux parce qu'ils avaient une bonne compression. C'étaient des moteurs culbutés. Chez Renault ils n'en étaient pas encore là, ils avaient un moteur à soupape horizontale, le fameux moteur 85, qui était peut-être solide mais pas performant, alors le tracteur Renault équipé avec ça, c'était une catastrophe ! Alors mon père l'utilisait pour faire tourner la scie, il y avait une poulie dessus et toute la journée il roulait sur place après la guerre parce qu'on a été 6 mois sans électricité. On a passé Noêl avec les lampes tempête et les lampes à carbure alors on était à moitié tout noirs après.


La maison de mon père après le bombardement : deux obus dans le toit.

Ca c'était le pont de bateau qu'ils ont fait le 8 juillet à St Fromond pour passer la Vire.

L'abri fait par mon père, on couchait à 6 dedans. Il existe toujours , il est recouvert.

Avec M.Leveel, ce sont des photos qui ont été découvertes par les archives de St Lô qui les ont trouvées aux Etats Unis. Plus de 4000.

Moyon rasé

Moyon, il n'y avait presque plus rien, c'était complètement rasé. Tout le haut du bourg, il ne restait rien, les écoles il ne restait rien, juste trois ou 4 maisons étaient restées mais le presbytère, la poste c'était détruit. Le clocher était coupé en deux, la couverture abimée, il y avait trois allemands dans le clocher avec un canon. Nous on était partis à Percy, 15 jours. 

Les américains ont pris Tessy le 2 aout, Moyon a été finie de libérer au Carrefour Paris le 30 juillet, au bourg ils sont arrivés le 27, ils sont repartis, ils ont fait demi tour car ils avaient perdu des chars. Ils sont repartis au Mesnil Herman, et quand ils sont revenus le 28, ils se sont battus pendant deux jours et ont libéré Moyon le 29 et le Carrefour Paris n'a été libéré que le 30. Il restait pas mal de chars allemands, des camions et des chars américains au Carrefour Paris. Route du Mesnil Herman il y avait deux chars américains. On trouvait des allemands morts dans tous les vieux chemins. Je pense que c'était l'aviation qui avait du mitrailler les vieux chemins pour qu'il y ait des allemands restés partout comme ça. Quand les américains ont vu qu'ils ne passaient pas ils ont mitraillé les chemins avec 7 ou 8 avions, devant l'armée.

Nous on est partis à pied, avec la carriole, la jument. On emportait ce qu'on pouvait emmener. Je me rappelle, il y avait le pot à lard dans le devant de la carriole. On emmenait de la nourriture. Mais nous quand on est partis de Moyon, les allemands étaient à la ferme chez mes parents, c'étaient des jeunes qui portaient des munitions la nuit sur le front. Il avaient plusieurs camions, des Renault qu'ils avaient volé à des français, les officiers avaient des tractions qu'ils avaient réquisitionnées. Ils prenaient tout ce qui se trouvait. Nous de Moyon, on est partis à Percy, ce n'était pas loin, mais on n'était pas mieux à Percy qu'à Moyon !. (rené)

St Fromond c'était vraiment la frontière, ceux qui passaient la Vire n'en revenaient pas. Il y a des gens d'Airel qui sont morts à l'eglise de St Fromond. Mon père faisait aussi les cerceuils. Il a dit je veux bien vous faire un cercueil mais moi je ne vais pas de l'autre coté. Parce qu'il savait que passer la Vire...

L'exode des habitants de St Fromond

Le 30 juillet les allemands ont donné ordre à toute la population de partir. Alors le curé de st Fromond a rassemblé tous les gens après la messe. Après la bénédiction il a dit ; « on s'en va ». Un monsieur, Loury, a pris la tête de ces gens là, 88 personnes. Ils sont partis dans le Maine et Loire à St Augustin des Bois, pas loin d'Angers, à pied ou en voitures à chevaux. Ils arrivaient dans les villages. On les hébergeait pour la nuit, on leur disait : « on ne peut pas vous garder ». Parmi ces gens là, il y avait une cousine à moi qui habitait St Fromond, la fameuse cousine qui est venue avec nous en 1940. D'autres sont allés moins loin : j'ai un oncle qui est parti à Lengronne, de St Lô, à pied.

Les allemands ne voulaient pas que les gens restent derrière pour ne pas qu'ils indiquent aux américains certaines choses. Ils obligeaient les gens à partir. Il s'agissait pour ces gens là de passer la ligne, c'est à dire de passer des allemands aux américains. Des fois ça se passait très bien. Les allemands restaient là et les américains passaient sur la route sans problèmes,, et d'autres fois il y avait bataille, ça dépendait.


Des fortunes diverses selon les communes

(René) Il y a des communes où il n'y a pas eu un coup de fusil de tiré. Les américains rentraient le fusil à la bretelle. Les allemands faisaient des barrages, par exemple à Moyon, Troisgots, Fervaches, Tessy, Villebaudon, ils avaient fait un barrage sur le vieux Marcran pour stopper les américains. Ils pensaient qu'avec les chars qu'ils avaient amenés ils pouvaient les bloquer, que les américains n'allaient plus passer. Ils passaient quand même mais ça durait plusieurs jours. Dans le canton de Tessy sur Vire, il y a eu plus de 1000 américains de tués. Mais ils passaient quand même par la force et l'aviation. A Percy il y a eu un peu de résistance aussi. Mais après quand ils ont passé Percy, ils sont arrivés à la Colombe. Là bas il y avait un paysan qui venait de Villedieu en vélo et il voit les américains. Ils l'ont interpellé, lui ont demandé ce qu'il faisait, d'où il venait. Il a dit qu'il venait de Villedieu et que les allemands étaient partis. Comme il a dit que les allemands étaient partis de Villedieu ils l'ont pris avec eux sur le premier char et sont entrés dans Villedieu le fusil à la breteile. Il n'y avait pas un allemand dans Villedieu, ils s'étaient repliés sur Mortain où ils avaient refait un front. Mortain ça a duré deux trois jours aussi. Ils rassemblaient le restant de leurs troupes parce qu'ils avaient gros de pertes. Quand ils ont pris Percy, qu'ils avaient encerclé, ils ont fait 3000 prisonniers allemands dans Percy.

C'était inégal. A Airel par exemple, c'est la maison de mon père qui a pris tous les obus; Alors on a soupçonné le capitaine allemand qu'on logeait, qui était parti de l'autre côté, d'avoir donné des indications pour nous bombarder parce que comme par hasard il n'y a que nous qui avons pris et le café épicerie qui était auprès de la minoterie qui a brûlé dans la nuit. Le propriétaires est venu au milieu de la nuit chercher une échelle car il disait : il faut que j'aille chercher ma grand mère, il l'a sauvé mais sa maison a brûlé. Ce sont les deux seules maisons qui ont pris à Airel, tandis que St Fromond a été quasiment totalement détruit, il restait deux trois maisons par les américains, pas par les allemands. Pendant un mois ils n'ont fait que d'envoyer des obus : 40000 ! On ne sait pas pourquoi ils ont fait ça.

Ils ont passé la Vire le 8 juillet. J'avais une cousine qui était propriétaire de plusieurs maisons. Le pont de St Fromond il y avait pas mal de maisons, c'était une rue avec de chaque coté pas mal de maisons. Le pont a été à moitié détruit mais les sapeurs américains l'ont réparé, l'infanterie est passée dessus.


Mon père mis en garde par la Kommandatur

Pendant la guerre, mon père a eu une mise en garde de la Kommandatur. Il a reçu une lettre en allemand et en français parce que les allemands arrivaient dans la cour et prenaient du bois. Alors mon père leur a dit : non, ce bois là c'est pas le mien, car il y avait des cultivateurs qui venaient faire scier du bois. Mon père essayait de leur faire comprendre mais avec la langue différente..; Donc ils ralaient et puis il y avait une histoire d'électricité, de quotas, de kilowatt heures alors mon père essayait de s'opposer mais pour leur faire comprendre ça...

Alors la Kommandatur avait envoyé une lettre, une mise en garde, des menaces. Après il a fait attention. Certains ne disaient rien mais d'autres.. C'était un alsacien qui était dans l'armée allemande qui était venu porter la lettre, il avait bu le café chez nous. Il parlait les deux langues. C'était un malgré-nous. Pour eux ce n'était pas drôle. Les malheureux, quand ils ont été prisonniers des russes, y'en a qui sont morts dans les camps. Il y eu des prisonniers français qui sont restés en Russie. La diplomatie n'osait pas dire grand chose.

 

Des prisonniers en Russie

Mon beau-père, qui était prisonnier, n'a pas attendu d'être rapatrié comme tout le monde, il avait trouvé une moto, il était en secteur russe et il est parti. S'il avait été pris par l'armée, il aurait été pris pour un espion. Une fois qu'il est passé avec les américains, il est rentré jusqu'à Guingamp en moto. Des fois il montait la moto dans la chambre pour coucher avec parce qu'on voulait lui prendre. Je ne sais pas comment il a fait pour trouver de l'essence ! Il a eu une chance inouïe. Il y avait des endroits où il fallait passer des rivières, des ponts, il aurait eu un contrôle ! C'était bien mon beau-père, attendre d'être rapatrié comme les autres, c'était trop lui demander !

A Moyon, les Foulon sont rentrés en 1945 au mois de décembre alors que nous on a été libérés en juillet 44. Leurs parents croyaient qu'ils étaient morts. (René)

Ceux qui ont été libérés par les américains, pas de problème

Raymond Ozenne, il a été prisonnier par les russes, il est rentré en septembre 1945 et il se demandait au départ s'ils allaient le rapatrier parce que quand ils ont été libérés en Allemagne par les Russes, ils sont repartis en Pologne et en Russie. Ils se disaient mais on s'en va pas dans le bon sens ! (René)


C'est pour ça qu'il y a des prisonniers qui sont restés dans les villages et qui ont épousé des russes et se sont intégrés. Il y en a même qui ont essayé, par l'intermédiaire des ambassades mais ça n'aboutissait à rien. Alors ils se sont faits une raison, ils sont restés.

Il y a un gars qui était prisonnier en Allemagne, il a été libéré par les américains et rentré en début 45 avec une Russe qu'il avait connue en Allemagne, qui avait été déportée par les Allemands de Russie. Il y en a des descendants à Tessy. Ils ont eu 5-6 enfants. (René)


Après la guerre, les véhicules réutilisés

Il ne fallait pas croire qu'après la guerre il y avait de l'essence à profusion, il fallait continuer à rouler un peu au gazogène. Petit à petit c'est revenu. Mon père a conservé le gazogène, la camionnette, pendant des années et quand il a revendu la scierie j'aurai du m'en intéresser, il a du vendre ça à un ferrailleur. Il était complet, avec le carburateur et tout ce qu'il fallait. C'est mon grand regret .

André legrand, de Moyon, qui habitait dans le bourg en face de la boulangerie, avec Octave Beaufils au Carrefour Paris il avait récupéré une auto mitrailleuse allemande et ils l'avaient montée au gazogène. Ils sortaient des stères du bois de Moyon pour l'entreprise Devaux. Ils en sortaient 7 stères à chaque fois. Ils étaient payés. Au gazogène ils prenaient du bois qu'ils coupaient en petits bouts. (René)

il fallait du bon bois parce que le gazogène produit du gaz mais si le bois est humide, le gaz est chargé d'humidité. Le gaz sortait de la chaudière, allait dans un épurateur qu'il fallait vider en arrivant le soir, il en sortait de l'eau et après il allait dans une autre bouillotte à côté avec du liège dans lequel il était filtré pour que le gaz soit le plus pur possible parce que s'il était trop humide, ça ne marchait pas bien, même pas du tout. Donc il fallait du bois sec, j'en ai cassé, et on mettait à sécher dans un grenier pendant quelques mois. Le bois le meilleur c'était le hêtre. C'est aussi le meilleur bois pour une cheminée. A la scierie ce n'était pas difficile, on avait du bois donc on pouvait utiliser le gazogène. Et après la guerre les marchands de bois de l'Orne ont équipé les gros camions américains et ils allaient chercher du bois dans les Vosges pour le mettre sur le train. Le vracker équipé en gazogène devait remonter la côte avec le gazogène et redescendait charger le bois. Il n'y avait pas de problème même si le moteur n'était pas très puissant, ça le faisait. Même après la guerre on s'en servait. Les allemands en avaient. Le meilleur gazogène, c'était le gazogène Humbert.


Les généreux américains

Nous en 44 on a eu de la chance parce que c'était la route de la libération St-Lô-Villedieu. Tous les convois américains passaient là pour monter en renfort puis redescendre plein les camions de prisonniers allemands qui embarquaient à Cherbourg pour l'Angleterre. Les convois, c'était continuellement. Il y avait des gens qui leur demandaient de l'essence, ils en donnaient des jerricanes, ils n'étaient pas chiens ! Ils nous donnaient de tout : des bonbons, des chewing gums, des cigarettes camel. Quand on se trouvait en haut de la route on avait de tout : on revenait la musette pleine. Ils étaient généreux. (René)

Les pipelines

Si vous allez au musée du Roul à Cherbourg, un panneau explique la logistique américaine. Il y avait le pipeline d'essence qui partait de Querqueville et qui allait jusqu'à plus loin que Paris. Tout le monde siffonait le pipeline ! Et il y avait les convois composés de camion, ce qu'on appelait le rainball, qui partaient et allaient jusqu'à Chartres et qui revenaient pas une autre route. Le musée parle aussi de la voie ferrée. La voie Cherbourg-Paris étaient coupée avant Caen. Ils passaient par St Lô, Avranches, St Hilaire, Airel où on avait pendant plusieurs mois des chargements de bombes.

Il y a l'histoire du pipeline Pluto aussi qui vaut le coup, le pipeline qui faisait 100km d'Angleterre jusqu'à Querqueville, ils en ont mis 3 au fond de l'eau. Il y en a deux dont ils n'ont pas pu se servir car ils ont été abimés.

Les américains n'avaient pas confiance en les anglais qui voulaient faire ça. Ils ont mis un pipeline en fer d'un seul tenant, 100km, mais ça n'a pas marché comme il faut, ça a marché en retard, 6 mois après, après le débarquement. A l'origine ils avaient mis un câble sous-marin et théoriquement ça aurait du marcher. Manque de chance il y a eu des problèmes techniques et ça n'a pas marché.

Après la guerre ils ont relevé le pipeline, il y avait une vanne à Querqueville. M.Lerevillois, un historien de Cherbourg, a eu l'idée d'ouvrir la vanne et il y avait de l'essence ! C'était la vanne qui commandait le pipeline d'Angleterre. Pendant presque un an, les Cherbourgeois allaient à Querqueville et faisaient la queue pour chercher de l'essence gratos.

On a fait croire que le port d'Arromanches a servi exclusivement au ravitaillement alors qu'il n'a débarqué que 15% du matériel. Omaha Beach en a débarqué plus. Au mémorial de caen ils ne sont pas contents parce que M.Lerevillois démontre que le port d'Arromanches a servi mais peu. Il a été faire des enquêtes en Angleterre, il a retrouvé le marin qui a relevé le pipeline. Ils ont retiré trois pipelines, les deux premiers c'était en cables téléphoniques et l'autre était en tuyau métallique soudé fait par les américains mais il y avait des problèmes de fuite. Pour le port d'Arromanches ça a occupé 45000 personnes rien que pour faire les bacs. C'était une idée de l'amiral Moon baten, parent du roi d'Angleterre alors on ne pouvait pas aller contre lui donc son idée a été prise mais les américains n'avaient pas confiance en ce port. Eux ils débarquaient leur essence dans des petits ports comme Port en Bessin dans des petits pétroliers et ça a bien marché. Par contre le pipeline terrestre a bien marché

Les américains ne croyaient pas au port d'Arromanches, aux ports artificiels alors ils débarquaient leur matériel à Utah beach et à Omaha avec des camions amphibie.